Mme Parly annonce des sanctions contre le colonel ayant critiqué la conduite des opérations au Levant

Chef de corps du 68e Régiment d’Artillerie d’Afrique [RAA] et commandant le détachement français d’artillerie déployé à la frontière irako-syrienne [Task Force Wagram], le colonel François-Régis Legrier est l’auteur d’un article publié par la Revue de la Défense nationale [RDN, n° 817] intitulé « La bataille d’Hajin, victoire tactique, défaite stratégique? ».

Ce papier a fait beaucoup de bruit dans la mesure où l’officier y critique la conduite des opérations menées par la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis, tout en déplorant que la frilosité des Occidentaux à envoyer des forces terrestres conventionnelles combattre l’État islamique [EI ou Daesh] en Syrie.

« En refusant l’engagement au sol, nous avons prolongé inutilement le conflit et donc contribué à augmenter le nombre de victimes au sein de la population. Nous avons détruit massivement les infrastructures et donné à la population une détestable image de ce que peut être une libération à l’occidentale laissant derrière nous les germes d’une résurgence prochaine d’un nouvel adversaire. Nous n’avons en aucune façon gagné la guerre faute d’une politique réaliste et persévérante et d’une stratégie adéquate », conclut ainsi le colonel Legrier.

Cela étant, cette appréciation n’est pas partagée. Ainsi, dans les colonnes du quotidien « Le Monde » [édition du 27/02], qui a publié de larges extraits de la tribune écrite par le colonel Legrier, le général Serge Cholley, ex-commandant de l’opération Chammal [nom de la participation française à la coalition], en a développé les raisons.

En premier lieu, le recours à des combattants locaux [notamment ceux des FDS, l’alliance arabo-kurde] n’aurait que des avantages, estime-t-il.

« Je suis convaincu que des forces locales, déterminées, équipées, formées et accompagnées par des forces spéciales occidentales, respectant les plans élaborés par une chaîne de commandement cohérente de bout en bout, renseignées et appuyées par ce qui se fait de mieux en termes de précision, de permanence et de profondeur, sont la meilleure réponse », assure le général Cholley, selon qui « Daech aurait trouvé dans la présence occidentale une formidable occasion de dénoncer une nouvelle croisade et une occupation étrangère, propices à rompre son isolement. »

Quant aux infrastructures qui auraient été détruites « massivement » par la coalition, l’ex-chef de la force Chammal s’inscrit en faux. « Il n’y a jamais eu d’ordre de destruction systématique des infrastructures, bien au contraire », dit-il, en refusant la caricature du « Kill’em all » [tuer-les tous].

Et le général Cholley d’expliquer que chaque dossier est examiné « individuellement, à l’aune de leurs conséquences aux niveaux local, régional et national sur les populations civiles » lors de réunions de ciblage et que le « choix des des armements et des points d’impact pour réduire le volume de destruction est fait par des spécialistes. » Toutefois, admet-il, il est « évident qu’il a pu arriver que, face à des dangers imminent sur les forces alliées au sol ou en raison de défaillances techniques ou de méprises, des frappes qui n’étaient pas souhaitées ont été à déplorer. »

Quoi qu’il en soit, et alors que la RDN a retiré l’article du chef de corps du 68e RAA de son site Internet [par respect des obligations déontologiques, selon son directeur, ndlr], le colonel Legrier s’expose désormais à des sanctions, comme l’a expliqué Florence Parly, la ministre des Armées, lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, le 20 février et dont le compte-rendu vient d’être rendu public.

« Un colonel, ancien commandant au sein de la task force Wagram, a commis un article dans une revue sur une opération en cours en territoire de guerre. Il a ainsi commis une première faute en exposant potentiellement ses hommes par les révélations contenues dans l’article. Il a donc été convoqué à Paris pour rendre compte à sa hiérarchie », a commencé par dire la ministre.

« Je suis tout à fait favorable à la liberté d’expression, mais elle est limitée par la déontologie professionnelle qui s’applique à tous les agents publics, dont les militaires », a-t-elle fait ensuite remarquer.

« Ma deuxième remarque est de fond. Les opinions exprimées dans l’article me semblent particulièrement critiquables, mais elles auraient pu être discutées dans un autre cadre que celui-ci, particulièrement inapproprié », a estimé Mme Parly.

En outre, la ministre a aussi rappelé qu’elle avait rencontré le colonel Legrier lors d’un déplacement en Irak, le 9 février dernier. « Il semblait alors très fier de l’action de ses hommes et ne m’a fait aucune observation sur l’opération que nous sommes en train de mener », a-t-elle assuré. Aussi, « s’il n’était pas d’accord avec l’action de France, il devait demander à être déchargé de son commandement », a-t-elle poursuivi.

Et, visiblement, cela a inspiré à Mme Parly un commentaire sévère à l’endroit du colonel Legrier. « Je vois donc dans son attitude une certaine fausseté et un manque de courage », a-t-elle dénoncé. « Sa hiérarchie prendra donc les mesures qui s’imposent et rappellera les règles de base qui s’appliquent à tous », a-t-elle conclu.

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