Paris et Londres contestent vivement la politique allemande en matière de ventes d’équipements militaires

Les programmes d’armement conduits dans le cadre d’une coopération entre États relèvent d’une course d’obstacles. Il faut d’abord se mettre d’accord sur une fiche commune d’expression des besoins, ce qui n’est déjà pas une mince affaire.

Faute d’une convergence totale, deux cas de figures peuvent se produire : soit la coopération est maintenue mais au prix d’une multiplication des versions d’un même produit afin de prendre en compte les spécifications exigées par chacun, soit elle est amoindrie, voire annulée, par le retrait pur et simple de l’un des participants. Tel fut le choix que fit la France dans les années 1980 pour lancer le Rafale.

Une fois cette étape franchie, il faut ensuite se mettre d’accord sur une architecture industrielle et déterminer ce que chacun apportera au projet, en veillant à ménager les intérêts des uns et des autres, voire les susceptibilités nationales. Puis vient le moment où la question de l’exportation future de l’équipement produit en coopération va se poser…

Et, bien souvent, elle n’est que rarement abordée lors des phases initiales. Ce qui met actuellement le Royaume-Uni dans l’embarras, à cause des restrictions qu’impose l’Allemagne à ses partenaires au sujet des transferts d’armes vers des pays n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Otan.

En effet, Berlin ayant décidé de suspendre les licences d’exportation concernant l’Arabie Saoudite, l’industrie britannique ne peut actuellement pas honorer des commandes d’armement passées par Riyad étant donné que la politique allemande bloque la livraison de composants qui, fabriqués outre-Rhin sont destinés aux avions Eurofighter Typhoon. Qui plus est, elle s’expose au risque d’avoir à verser des dédommagements pour ne pas avoir pu livrer dans les délais.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, Jeremy Hunt, s’est même emporté, la semaine passée, en accusant l’Allemagne de « manquer de loyauté » et d’empêcher l’Europe de « remplir ses obligations dans le cadre de l’Otan ».

« Si l’Allemagne cherche à l’avenir à développer des capacités de défense futures avec des partenaires européens, le gel des exportations vers l’Arabie Saoudite va créer un manque de confiance dans la fiabilité de l’Allemagne en tant que partenaire », a encore valoir le chef du Foreign Office.

« Notre position est que nous ne livrerons pas d’armes à l’Arabie saoudite pour le moment », lui a répondu Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères. Du moins, tant que la situation au Yémen ne sera pas améliorée… Au passage, Berlin se garde bien de commenter que des munitions utilisées par l’Arabie Saoudite ont été vendues par RheinMettal via sa filiale italienne RWM…

En outre, ces restrictions allemandes en matière de ventes d’armement risquent de contrarier les programmes menés en coopération avec la France, dont le Système de combat aérien futur [SCAF], le char de combat de nouvelle génération [MGCS], voire le drone MALE RPAS [pour lequel beaucoup a déjà été consenti à Berlin au niveau des spécifications techniques….]. Et cela même si la chancelière allemande, Angela Merkel, et sa ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, ont donné des signes plutôt encourageants lors de la Conférence de Munich sur la sécurité.

Dans un entretien donné au quotidien Die Welt, Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, a lancé une mise en garde à l’endroit de Berlin. « Il ne sert à rien de produire des armes par le biais d’une coopération accrue entre la France et l’Allemagne si nous ne sommes pas en mesure de les exporter », a-t-il prévenu. « Si l’on veut être concurrentiel et efficace, il faut que nous puissions exporter dans des pays hors de l’Europe », a-t-il insisté, avant de souligner que la « France impose et maintiendra des conditions très strictes en matière d’exportation d’armes. »

Cela étant, dans un rapport sur les « enjeux européens de l’industrie de Défense », les députés Éric Straumann et François Dumas ont déploré que, malgré les accords dits Debré-Schmidt de 1972, censés éviter tout blocage, « l’Allemagne a, à plusieurs reprises, bloqué des exportations d’équipements français qui comportaient des composants allemands, y compris de nature ‘civile’ comme des éléments de boîte de vitesses pour les blindés. »

Et d’ajouter que la position de l’Allemagne à l’égard de l’Arabie Saoudite « aurait pour [la France] des conséquences politiques et économiques majeures » étant donné que, « en refusant des autorisations d’exportation », Berlin serait « en mesure de bloquer » les exportations françaises d’armements vers Riyad « pour autant ceux-ci contiennent des composants allemands. » Et d’ajouter : « La crise qui en résulterait entre les deux pays se réglerait peut-être plus difficilement que celle consécutive à un refus de licence ITAR. »

« Comme l’a souligné le président de la République, les armes françaises n’ont aucunement contribué à l’assassinat [du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul] contrairement, pourrait-on ajouter, aux automobiles allemandes puisque les tueurs présumés ont utilisé une Mercedes », ont relevé, non sans malice, les deux rapporteurs.

Quoi qu’il en soit, ces derniers estiment que « cet exemple montre le risque qu’il y a à conduire des programmes d’armement en coopération » dans la mesure où, pour des raisons de politique intérieure, l’un des participants peut « interdire, à lui seul, tout exportation de l’équipement concerné. » D’où la nécessité de régler ces questions le plus en amont possible.

« C’est donc dès le lancement du programme que les États concernés doivent s’accorder sur les règles d’exportation du futur équipement, afin de donner aux entreprises la visibilité à long terme et la sécurité juridique dont elles ont besoin. Cet accord doit être formalisé au plus haut niveau », plaident les deux députés.

Photo : char EMBT, développé par Nexter et Krauss-Maffei Wegmann

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