En proie à une crise politique majeure, le Venezuela fera-t-il l’objet d’une intervention militaire américaine?

En décembre 2015, l’opposition au président vénézuélien, Nicolas Maduro, remporta les élections législatives. Une première depuis le début de la « révolution bolivarienne », lancée par Hugo Chavez, le fondateur du Parti socialiste unifié du Venezuela. Seulement, le verdict des urnes ne fut pas respecté par la suite.

Désormais contrôlée par le centre-droit, l’Asamblea Nacional approuva, en octobre 2016, l’ouverture d’une procédure contre M. Maduro pour examiner sa responsabilité pénale, politique et son abandon de poste ». Dénonçant un « putsch parlementaire », ce dernier mit en place une « assemblée nationale constituante » à sa main, dotée du pouvoir législatif. En clair, le Parlement élu quelques mois plus tôt n’avait ainsi plus aucune prérogative.

Puis, en mai 2018, M. Maduro fut réélu président du Venezuela avec 67,8 % des voix… alors que seulement 46% des électeurs s’étaient rendus aux urnes. Et pour cause : les partis d’opposition boycottèrent le scrutin, quand il ne leur était pas interdit d’y participer. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », dit le Cid…

Dans le même temps, le Venezuela, qui ne manque pourtant pas de ressources, notamment pétrolières, plongea dans une crise économique marquée par un taux d’inflation record [+830.000% en novembre 2018], des pénuries et un exode massif vers les pays voisins. Ce qui ne manqua de provoquer des tensions en Colombie, au Brésil, au Pérou et en Équateur. Au point que le secrétaire général de l’Organisation des États d’Amérique [OEA], l’Urugayen Luis Almagro, envisagea ouvertement l’option d’une intervention militaire pour renverser le régime de M. Maduro.

Aussi, les relations du Venezuela se dégradèrent. Outre les menaces contre le Guyana en raison d’un différend territorial amplifié par les ressources pétrolières, Caracas s’en prit notamment à la Colombie et aux États-Unis, accusés, entre autres, d’avoir été à l’origine d’une étrange tentative d’attentat contre M. Maduro en juillet 2018 et, plus généralement, de soutenir les manifestations, parfois violentes [125 morts en 2017], des mouvements d’opposition.

En outre, Caracas se rapprocha davantage de Pékin et de Moscou [voire de Téhéran], sollicitant des prêts financiers gagés sur l’exploitation des ressources naturelles ainsi que des coopérations militaires.

Cela étant, la contestation du régime a pris semble-t-il pris un tournant, le 21 janvier, avec la mutinerie de militaires de la « Garde nationale bolivarienne ». « Nous sommes des soldats professionnels de la Garde nationale opposés à ce régime que nous désavouons complètement, nous avons besoin de votre soutien, descendez dans la rue », ont-ils proclamé, avant d’être interpellés plus tard.

Devenu, le 5 janvier, président de l’Assemblée nationale marginalisée par le régime de M. Maduro, Juan Guaido a alors estimé que « ce qui se passe au poste de la Garde nationale à Cotiza montre le sentiment qui prévaut à l’intérieur » de l’armée. » Et, devant des milliers de partisans réunis à Caracas, le 23 janvier [*], il a franchi le rubicon en s’autoproclamant président « par intérim » du Venezuela.

« Je jure d’assumer formellement les compétences de l’exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir […] à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres », a assuré cet ingénieur de 35 ans, qui, issu du parti Volonté populaire, avait été qualifié de « gamin qui joue à la politique » par M. Maduro.

La réaction du pouvoir chaviste a été immédiate. Le tribunal suprême de justice a ainsi ordonné au bureau du procureur général d’ouvrir une enquête criminel contre les élus de l’opposition pour « usurpation de la fonction présidentielle ». Ce que M. Maduro a prosaïquement a appelé un « coup d’État ».

Reste que, désormais, opposants et partisans du président de Maduro sont descendus en masse dans les rues, avec les risques de débordements que cela suppose.

Quoi qu’il en soit, plusieurs pays ont immédiatement reconnu M. Guaido comme président du Venezuela. C’est notamment le cas du Brésil, du Canada, de l’Argentine, du Paraguay, du Pérou, du Chili, de la Colombie, et, bien évidemment, des États-Unis. D’ailleurs, le chef de la Maison Blanche, Donald Trump, a été le premier à lui apporter son soutien. En outre, et sachant que le président américain a déjà évoqué l’éventualité d’une intervention militaire au Venezuela à plusieurs reprises, Washington a prévenu que « toutes les options sont sur la table » en cas de « recours à la force » par le régime de M. Maduro.

« Le peuple vénézuélien a le droit de manifester pacifiquement, de choisir librement ses dirigeants et de décider de son avenir […] Sa voix ne peut être ignorée », a fait valoir Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, est allé plus loin en disant « espérer que toute l’Europe va être unie en soutien des forces démocratiques au Venezuela ».

Toutefois, le régime de M. Maduro compte aussi des soutiens. Outre Cuba [mais ce n’est pas une surprise], le Mexique n’a ainsi pas embrayé derrière les États-Unis. Et le Kremlin a dit soutenir « président légitime » Maduro » et dénoncé une « usurpation du pouvoir », après avoir critiqué l’attitude des pays occidentaux. Pour rappel, il avait été prêté à Caracas l’intention de permettre aux forces armées russes de disposer d’une base militaire sur l’île de La Orchila, située à 2.000 kilomètres des États-Unis…

« Les évènements qui se déroulent actuellement au Venezuela montrent clairement l’attitude de la communauté internationale progressiste envers le droit international, la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays où elle chercher à changer le pouvoir », a en effet affirmé Maria Zakharova, la porte-parole de la diplomatie russe.

Plus tard, le ministère russe des Affaires étrangères a fait valoir qu’une « ingérence étrangère destructrice, en particulier dans la situation actuelle extrêmement tendue, est inacceptable », considérant que c’est une « voie directe vers l’arbitraire et le bain de sang ». Et d’ajouter : « Nous voyons dans les actions sans gêne de Washington une nouvelle démonstration de l’ignorance totale des normes et principes du droit international. »

Selon la porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, Pékin « invite toutes les parties à faire preuve de retenue » tout en apportant son soutien au « gouvernement vénézuélien dans ses efforts pour maintenir la stabilité, préserver la souveraineté et l’indépendance. »

Enfin, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a également témoigné son soutien à l’héritier d’Hugo Chavez, qu’il avait d’ailleurs rencontré en décembre dernier. « Frère Maduro, garde la tête haute, la Turquie se tient à vos côtés », lui a-t-il dit.

Reste maintenant à voir comment va évoluer la situation dans les prochaines heures, sachant que « toutes les options sont sur la table » du côté des États-Unis. D’après l’Observatoire vénézuélien des conflits sociaux [OVCS, qui s’oppose à M. Maduro, ndlr], 13 personnes, en deux jours, ont déjà perdu la vie lors de manifestations antigouvernementales.

« La question est de savoir si, sur le plan interne, l’armée, qui est aujourd’hui le dernier soutien du régime, reconnaîtra ou non cette proclamation. Est-ce qu’il y aura des divisions? C’est, de mon point de vue, là où va se jouer la portée de cette proclamation sur le plan de la politique intérieure vénézuélienne », a résumé, sur les ondes de FranceInfo, Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes à Sciences-Po.

Pour le moment, le ministère vénézuélien de la Défense assure tenir ses troupes. « Le désespoir et l’intolérance portent atteinte à la paix de la nation. Nous, soldats de la patrie, nous n’acceptons pas un président imposé à l’ombre d’intérêts obscurs ni autoproclamé en marge de la loi. L’armée défend notre Constitution et est garante de la souveraineté nationale », a-t-il fait savoir.

[*] Date anniversaire de la chute de la dictature de Marcos Perez Jimenez, en 1958

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