Trois des quatre auteurs du bombardement ayant tué et blessé des militaires français à Bouaké renvoyés aux assises

Le 6 novembre 2004, alors que la France était intervenue militairement en Côte d’Ivoire alors en proie à une guerre civile, deux avions d’attaque Su-25 « Frogfoot », pilotés par des mercenaires biélorusses et deux officiers ivoiriens bombardèrent une position tenue par des militaires français à Bouaké. Le bilan fut de 10 tués (dont un civil américain) et de 38 blessés.

Au moment des faits, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, venait de lancer l’opération « Dignité », afin de reprendre le terrain perdu face aux rebelles. Par la suite, des heurts éclatèrent à Abidjan contre les expatriés français, tandis que le président Chirac ordonnait la destruction de l’aviation ivoirienne, en réponse au bombardement de Bouaké.

Puis, à Abidjan, la force française Licorne interpella 15 techniciens aéronautiques russes, biélorusses et ukrainiens. Ces derniers, détenus pendant 4 jours, ddurent remis au consul de Russie, sur ordre de Paris. « Je n’avais pas du tout envie de relâcher ces personnes. On m’a répondu : tu exécutes! », expliquera, plus tard, le général Henri Poncet, alors chef des troupes françaises en Côte d’Ivoire.

En outre, 8 ressortissants biélorusses, dont un des deux pilotes impliqués dans le bombardement de Bouaké, furent arrêtés au Togo. Là, Lomé demanda à Paris ce qu’il fallait en faire. Et, à la leur grande surprise, les autorités togolaises ne reçurent aucune réponse. « Devant l’attitude de la France, qui m’a beaucoup étonné, j’ai été amené à prendre des arrêtés d’expulsion », expliquera François Boko, alors ministre togolais de l’Intérieur. « Il n’y avait pas de bases juridiques pour les interroger », firent valoir, à l’époque, les responsables français qui étaient aux manettes. Un point contesté, y compris par David Sénat, ancien conseiller « justice » de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense au moment des faits.

Quoi qu’il en soit, cette affaire, qui a mobilisé 4 juges d’instructions en 14 ans garde ses mystères. L’on sait que les deux Su-25 avaient été fournis à l’aviation ivoirienne par un intermédiaire français, que les deux officiers ivoiriens qui étaient à leur bord au moment du bombardement ont été promus par la suite ou encore que l’attitude des autorités françaises interroge…

Cela étant, conformément aux réquisitions du Parquet, la juge d’instruction en charge de cette affaire, Sabine Kheris, a ordonné le renvoi devant la cour d’assises de trois des protagonistes de cette affaire, dont Iouri Souchkine, le colonel Patrice Oueï et le capitaine Ange Gnanduillet pour « assassinats, tentatives d’assassinats et destructions de biens. » Soit trois des quatres auteurs de l’attaque contre le camp de la force Licorne.

Dans son ordonnance, qui laisse entrevoir la tenue d’un procès en 2020, Mme Kheris a retenu la circonstance de la « préméditation » pour ce bombardement, ce qui exclut toute erreur de la part des trois hommes. Quant au quatrième protagoniste, Boris Smahine, il a bénéficié d’un « non-lieu partiel », faute de « charges suffisantes » à son encontre.

« Plus de 14 ans après, il s’agit enfin d’une étape cruciale apportant soulagement et espoir aux blessés et familles pour enfin tenter de savoir les raisons, circonstances et suites de ce bombardement », a commenté Me Lionel Bethune de Moro, l’avocat de certaines victimes du bombardement de Bouaké. À la condition, toutefois, que les trois mis en cause soient dans le box des accusés quand le procès se tiendra.

« Malheureusement, ce sera une cour d’assises par défaut parce que pendant 14 ans, on n’a pas fait le moindre effort pour arrêter les coupables malgré tous les mandats d’arrêt qui ont été lancés contre eux. Mais ça, ce fut une volonté politique de l’époque », a réagi Me Jean Balan, avocat des familles des militaires décédés, sur les ondes de RFI.

Justement, quant aux trois personnalités politiques qui étaient alors ministres à l’époque, à savoir Michèle Aliot-Marie [défense], Michel Barnier [affaires étrangères] et Dominique de Villepin [intérieur], la magistrate leur reproche d’avoir été « inactifs en étant conscients que cela aboutirait aux remises en liberté des accusés », rapporte l’AFP. D’où un possible délit « de fourniture de moyens pour soustraire l’auteur d’un crime à une arrestation ». Un délit qui relève de l’article 434-6 du Code pénal.

Aussi, la juge d’instruction demandé le renvoi de ces trois anciens ministres devant la Cour de Justice de la République [CJR], seule compétente pour ce type d’affaire. Mais le parquet général près la Cour de cassation a fait savoir qu’il n’a pas encore « saisi à ce stade » la commission des requêtes de la CJR, dont la suppression a été annoncée dans le cadre de la présentation de la réforme constitutionnelle par le gouvernement, en mai dernier.

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