Berlin pourrait saborder le projet d’avion de combat franco-allemand de 6e génération

En apparence, le projet franco-allemand visant à mettre au point un Système de combat aérien futur [SCAF] est sur de bon rails. Une fiche commune d’expression des besoins a en effet été signée en avril, de même que, deux mois plus tard, une déclaration d’intention, laquelle précise que ce programme sera conduit par la France tandis que celui concernant le développement du char de combat du futur [MGCS – Main Ground Combat System] sera confié à l’Allemagne. En outre, il était aussi question de lancer la phase d’études d’ici la fin de cette année. Or, l’aiguille tourne et le lancement de cette dernière se fait toujours attendre.

Seulement, même si le SCAF sera mis en service à l’horizon 2035/40, il n’y a guère de temps à perdre. D’autant plus que ce projet est d’une grande complexité dans la mesure où il s’agit de mettre au point un « système de systèmes » autour d’un avion de combat de 6e génération. En clair, l’enjeu sera de faire communiquer entre eux plusieurs plateteforme de générations et de type différents (AWACS, satellite, drones, etc).

La question du développement de l’avion de combat ne pose pas de problème : il a été convenu que Dassault Aviation s’en chargera étant donné qu’il a les compétences pour le faire. En outre, Airbus Defence & Space [ADS], qui avait déjà planché sur un appareil de 6e génération dans le cadre d’une étude financée par l’Allemagne, aura à s’occuper d’autres plateformes, comme les drones ou les satellites.

Mais les choses se compliquent au niveau du système de combat collaboratif sur lequel l’ensemble va reposer. Selon la DGA, il s’agit de la partie la « plus difficile à définir car elle n’a guère de précédent ». Et c’est aussi celle qui aiguise les appétits outre-Rhin. Dans un entretien donné à La Tribune, en octobre, Dirk Hoke, le Pdg d’ADS, a revendiqué le « leadership » pour la mise au point de cette architecture. Ce qui n’est pas dans les plans de Paris, pour qui l’électronicien français Thales est le mieux placé pour cela.

« Comme l’a fait valoir M. Joël Barre [Délégué général pour l’armement], Thales s’impose en effet comme l’industriel français de référence en matière de système de combat collaboratif connecté, tandis que les Allemands n’ont pas encore proposé de candidat. Airbus ou Hensoldt pourraient y prétendre, sans qu’il soit certain […] qu’ils disposent du même capital technologique que Thales », explique le député Jean-Charles Larsonneur, dans son rapport pour avis sur l’équipement des forces

La question du partage industriel risque d’être épineuse… étant donné que Berlin peut estimer que la conduite du projet de char de combat futur ne constitue par une « compensation crédible du leadership français au programme de SCAF », relève le parlementaire.

Citant Philippe Bottrie, directeur des affaires publiques d’Airbus pour la France, les difficultés de la DGA a dialoguer avec le BAAINBw, son homologue allemand, pourraient s’expliquer par « l’impression qu’ont les autorités allemandes d’un risque de déséquilibre industriel global en défaveur de l’Allemagne dans la coopération franco-allemande. »

S’agissant de ces « difficultés » évoquée par M. Bottrie, la DGA attend toujours des réponses de la part du BAAINBw au sujet de la validation d’un accord permettant l’échange d’informations entre les deux pays (sur ce point, Berlin souhaite associer Madrid, contrairement avec ce qui avait été convenu dès le départ avec Paris).

Quant aux difficultés au niveau politique, il y a évidemment la question de l’exportation du futur SCAF. Sur ce point, aucun terrain d’entente n’a encore pu être trouvé, la France s’opposant à la vision restrictive de l’Allemagne dans ce domaine. Et pour cause : il s’agit ni plus ni moins de pouvoir assurer le financement de ce programme…

Un autre aspect à prendre en considération est la situation politique en Allemagne, en lien d’ailleurs le partage industriel évoqué précemment.

« La décision finale sur le lancement du programme en Allemagne relève du Bundestag [Parlement] et non du seul gouvernement. Or le soutien du Bundestag au projet de SCAF ne serait pas entièrement acquis dans le contexte politique allemand actuel », explique M. Larsonneur. « En effet, certains, en Allemagne, verraient la coopération franco-allemande prise dans son ensemble comme faisant une part disproportionnée à l’industrie française. En conséquence, déplacer les équilibres de la répartition des tâches au sein du projet de SCAF risquerait de le compromettre », poursuit-il.

Aussi, un autre scénario pourrait prendre forme. Citant un responsable d’Airbus, M. Larsonneur prévient que dans le cas où le projet SCAF viendrait à s’enliser ou à être rejeté par le Bundestag, alors « les partisans du choix du F35 en Allemagne s’en trouveraient confortés et l’idée de recréer un ‘club Eurofighter’ pour concevoir un avion de combat futur complémentaire de l’avion américain risquerait fort de se trouver relancée. »

« Il serait d’ailleurs à craindre que, dans cette hypothèse, le projet d’avion de chasse Tempest annoncé il y a quelques mois par le gouvernement britannique trouve des voies de convergence avec l’idée de recréer un ‘club Eurofighter' », ajoute-t-il.

Si cette logique venait à s’imposer, alors l’industrie aéronautique militaire française se retrouverait dans une situation très délicate car « aucune nation [européenne] ne peut plus assumer seule le développement et la production d’un programme de cette envergure dans un tel contexte », avertit le député.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]