Selon un rapport, les marchés d’externalisation passés pour l’entraînement des parachutistes suscitent des « motifs d’étonnement »

L’externalisation consiste à recourir à un prestataire privé pour répondre à des besoins que les Armées ne sont pas en mesure de satisfaire par elles-mêmes, soit parce qu’elles n’en ont pas [ou plus] les ressources humaines et les moyens, soit parce que cela reviendrait trop cher. Ce qui permet, par exemple, d’éviter l’acquisition et l’entretien d’équipements coûteux, le tout avec la perspective de faire quelques économies grâce à la mise en concurrence.

Tel est le cas de l’affrètement de navires cargos pour le transport d’équipements dans le cadre d’un engagement extérieur. Dans son rapport pour avis sur les crédits alloués au « Soutien et à la logistique interarmées », le député Claude de Ganay cite le cas du bateau Freemantle, affrété en février 2017 pour transporter deux chasseurs de mines tripartites de Brest à Abou Dhabi. Cela a coûté 3 millions d’euros, « soit 30 % de moins qu’en 2015, sous les effets conjugués de la mise en concurrence, de l’évolution des prix du pétrole et du cours du dollar », écrit-il.

Dans son rapport, le député indique que plusieurs projets d’externalisation sont à l’étude, notamment dans les domaines de la restauration [la moitié des 270 mess seraient concernés], de la formation et du maintien en condition opérationnelle [MCO].

Les modalités de passation de ces marchés d’externalisation sont régies depuis mars 2018 par une nouvelle instruction de la Direction des affaires financières [n°7538/ARM/SGA/DAF/SDQEFI].

Ce texte précise que toute décision de recourir à un prestataire privé doit être subordonnée à « la réalisation d’études et de travaux préparatoires destinés à vérifier que sont bien remplies, de manière cumulative » quatre conditions particulières, qui sont : « ne pas affecter la capacité des armées, des services de soutien et des organismes interarmées, à réaliser leurs missions opérationnelles », « s’assurer d’un bilan global plus favorable, notamment en termes de gains financiers, de soutenabilité budgétaire, de qualité de service et de transfert de risques », « préserver les intérêts du personnel », « ne pas conduire à la création de positions dominantes chez les opérateurs économiques et préserver l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) à la commande publique. »

Cela étant, dans son rapport, et après avoir évoqué la saisine du parquet national financier par la Cour des comptes et la ministre des Armées au sujet des marchés relatifs au transport aérien stratégique, M. de Ganay avance qu’il « est ainsi apparu que la multiplicité des prescripteurs sur le terrain a pu faciliter des pratiques parfois douteuses dans la procédure d’attribution de certains marchés. » Et d’insister : « Le directeur de SSLT [service spécialisé du transport et de la logistique] a évoqué les dérives de certains pouvoirs prescripteurs qui auraient pu, par la définition précise de critères techniques dans des appels d’offres, spécifiquement dans les marchés de formation des parachutistes, favoriser certains prestataires. »

Le député évoque également « la persistance de pratiques peu conformes au cadre juridique des externalisations », ce qui souligne « la défaillance des dispositifs de contrôle interne », après avoir cité le cas du MCO Parachutiste. Mais c’est son collègue de la commission des Finances, François Cornut-Gentille, qui a enfoncé le clou sur ce sujet, dans son rapport sur les crédits de la mission « Défense ».

Citant l’instruction de la DAF, le député de la Haute-Marne rappelle que des études « doivent comporter de manière systématique une comparaison du scénario correspondant au maintien de la régie en place, avec le ou les scénarios d’externalisation envisagés et le ou les scénarios de rationalisation optimisée de la régie ». En outre, elles « peuvent également comporter une analyse des possibilités de mutualisation des opérations d’externalisation ou de régie rationalisée optimisée, en liaison avec des services d’autres administrations de l’État. »

Or, s’agissant du MCO Parachutiste (qui concerne la 11e Brigade Parachutistes, l’École des troupes aéroportées, les unités de forces spéciales, etc), pas moins de 13 marchés d’externalisation ont été notifiés (ou sont sur le point de l’être) en 2018. Le tout pour un total, sur 4 ans, d’une petite dizaine de millions d’euros. Aussi, M. Cornut-Gentille a cherché à avoir des précisons auprès du ministère des Armées au sujet de ce qu’il appelle un « recours massif à l’externalisation ». Et, visiblement, il attend encore les réponses…

« En l’état, cette absence de réponse est d’autant plus dommageable que la lecture des documents publics fait apparaître des motifs d’étonnement quant aux modalités de passation des marchés publics d’externalisation du ‘MCO des parachutistes' », affirme M. Cornut-Gentille.

Ainsi, le député rappelle qu’en 2008, il avait décidé de transférer le 13e Régiment de Dragons Parachutistes [RDP] de Dieuze [Moselle] à Souge [Gironde] afin de « regrouper les unités parachutistes dans le Sud-Ouest  » et « optimiser les capacités d’entraînement. »

« Si le déménagement a eu lieu, il n’en fut pas de même de la rationalisation des moyens d’entraînement puisque chaque unité a recours de façon indépendante et non coordonnée à des sociétés privées ou associations pour l’entraînement des hommes. C’est ainsi que le 1er RPIMA et le 13e RDP, distants de 180 kilomètres, ont recours au même type d’appareil mais par des marchés publics séparés », constate M. Cornut-Gentille.

Or, selon ce dernier, le chef d’état-major de l’armée de l’Air a « reconnu » que la possibilité d’acquérir « en patrimonial » des appareils légers pour « pour répondre aux besoins convergents des différentes unités parachutistes du Sud-Ouest » n’avait été « jusqu’à présent insuffisamment étudiée, laissant les unités de l’armée de Terre agir par elle-même. » Et le parlementaire de conclure : « Ceci démontre que l’instruction de la DAF, notamment en ce qui concerne les études préalables à toute externalisation, n’est pas suivie d’effet. »

« L’autonomie donnée aux unités pour accéder à des capacités d’aéronef aboutit à de singulières consultations menées par le SSLT, service adjudicateur du commissariat des armées, au profit des unités prescriptrices », note encore M. Cornut-Gentille, qui cite un marché passé pour les besoins du 13e RDP, par ailleurs aussi évoqué dans le rapport de M. de Ganay.

« Dans le cadre d’un appel d’offre relatif au MCO des parachutistes de l’armée de Terre, un des quatre lots, destiné au 13e RDP, précisait que les candidats devaient se trouver à une distance de 150 km du régiment. En dépit de l’identification d’un candidat, ce marché fut déclaré infructueux, et un nouveau critère de distance fut défini, cette fois à 75 km. L’identification d’un candidat idéalement situé à 73 km aurait, semble-t-il, amené le pouvoir adjudicateur à privilégier un critère temporel à un critère géographique », a relaté M. de Ganay.

« Alors que les prestations et aéronefs exigés étaient identiques, les sessions de sauts devaient s’opérer désormais dans un rayon de 75 km maximum, sans aucune explication, écartant de fait certaines sociétés ayant répondu à la première consultation. Une seule société fut en mesure de répondre à la seconde consultation », a, de son côté, expliqué François Cornut-Gentille, pour qui « cet exemple n’est cependant pas unique. »

Aussi, écrit-il, « sans explication ni justification du ministère des Armées, il est difficile ne pas tiquer devant de telles pratiques. » Et de prévenir : « Les difficultés des services du ministère des Armées à apporter les pièces justificatives […] ne peut qu’inciter le rapporteur à user de tous ses pouvoirs pour s’assurer que le droit des marchés publics est correctement appliqué. »

Pour le député Claude de Ganay, « la repatrimonialisation de certaines capacités pourrait être étudiée », notamment dans le domaine « du maintien en condition des parachutistes en métropole », avec par exemple, « l’acquisition et la certification par la direction de la sécurité aéronautique d’État (DSAÉ) d’appareils civils de la gamme Beechcraft. »

Photo : Ministère des Armées

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