Pour gagner la « bataille des compétences », l’armée de Terre a besoin de plus d’officiers et de sous-officiers expérimentés

Entre 2012 et 2015, l’heure était au « dépyramidage » au sein des armées, c’est à dire à la réduction du taux d’encadrement, et donc à celle du nombre d’officiers et de sous-officiers supérieurs. Malgré les réductions massives de postes effectuées durant les années précédentes, la masse salariale du ministère de la Défense [des Armées aujourd’hui] avait progressé. D’où cette politique consistant à geler les tableaux d’avancement et à prendre des mesures particulières pour inciter les cadres à partir.

Cela étant, lors d’une audition au Sénat, en octobre 2013, le général Bertrand Ract-Madoux, alors chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] fit observer que « le volume d’officiers au sein du ministère avait été réduit de quelque 5% » entre 2008 et 2013, tandis que, dans le même temps « celui du personnel civil de catégorie A augmentait d’environ 25%. »

« Notre taux d’encadrement, d’environ 12 %, mais 8 % seulement pour les forces terrestres, reste très inférieur à celui que l’on observe chez nos partenaires européens. Il est resté stable en dépit de la réduction du format depuis 2008. C’est pourquoi l’armée de Terre éprouve quelque difficulté à se reconnaître dans l’objectif de ramener le taux d’encadrement ‘officier’ du ministère à 16%. Cela supposerait une déflation considérable sur cette catégorie, qui a pu me sembler déraisonnable et déstructurante », mit alors en garde le général Ract-Madoux.

L’année 2015 aura été un tournant, en particulier pour l’armée de Terre, puisqu’il fut décidé non seulement de mettre un terme à la déflation de ses effectifs mais aussi de les augmenter significativement en portant le format de la Force opérationnelle terrestre [FOT] de 66.000 à 77.000 soldats.

Seulement, si l’armée de Terre a « gagné » cette « bataille des effectifs », pour reprendre les mots du général Jean-Pierre Bosser, son chef d’état-major actuel, elle doit relever un autre défi : celui des compétences. Et il manque ainsi des officiers et des sous-officiers expérimentés pour encadrer et former ses recrues.

« La remontée en puissance nous a également confrontés à des seuils critiques en matière de compétences. Nous avons des effectifs suffisants en nombre mais du fait du temps de latence de la formation, nous avons un fort déficit sur les hauts de pyramide », avait ainsi souligné le général Bosser, en octobre 2017. Et d’estimer qu’il manquait « 1.000 officiers » et « environ 3.000 sous-officiers supérieurs ».

Lors de son dernier passage devant les députés de la commission de la Défense, le CEMAT a de nouveau insisté sur ce point, tout en le complétant. Car il manque aussi à l’armée de Terre des cadres pour assurer la mise en oeuvre du programme SCORPION ainsi que ses missions de formation au profit de forces étrangères.

« Sur le plan des compétences, nous devons être capables à la fois d’encaisser la mise en œuvre du programme SCORPION qui débute, et d’inscrire nos actions dans le cadre d’une stratégie globale plus exigeante en qualifications diverses. Tout ceci milite pour un effort de formation et une inversion de tendance concernant notre taux d’encadrement », a ainsi expliqué le général Bosser. « Ce taux est aujourd’hui inférieur à 12 % dans l’armée de Terre, quand il approche 15 % dans d’autres armées de l’Otan – et ce, après des années de dépyramidage indifférencié », a-t-il fait valoir.

Répondant à la question d’un député, le général Bosser a insisté sur ce « taux d’encadrement est légèrement inférieur à celui de nos […] alliés ». Et d’ajouter : « Si j’ai érigé l’encadrement au rang d’enjeu, c’est parce que je me conforme à l’objectif politique fixé par le président de la République. »

En effet, a poursuivi le CEMAT, s’agissant du Sahel, le président Macron « a affirmé […] que la paix ne serait pas gagnée par la seule réponse militaire ». Disant « partager pleinement cette vision d’une stratégie globale », le général Bosser a expliqué que cette dernière suppose que « d’autres actions, sur le terrain, comme l’action diplomatique, celle du développement ou encore de la formation, devront compléter l’action militaire et s’y associer, pour gagner la paix. »

Aussi, a-t-il souligné, « les forces militaires seront impliquées dans ces actions, notamment à travers la formation d’armées étrangères, ou la coopération avec celles-ci… Donc la notion d’encadrement est plus importante dans une stratégie globale que dans une action militaire classique. »

« Si demain par exemple, nous devions mener un partenariat militaire opérationnel pour reconstruire une partie de l’armée irakienne, cette action mobiliserait essentiellement des cadres, qui traduiraient sur le terrain la volonté politique. Du reste, les officiers français d’état-major jouent d’ores et déjà un rôle important dans le cadre de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique [MINUSCA] et de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali [MINUSMA] », a fait remarquer le général Bosser.

Pour le CEMAT, cet enjeu n’est « ni financier, ni lié à l’attractivité professionnelle, mais tient à notre capacité à répondre aux besoins inhérents aux partenariats opérationnels, dans les états-majors de l’OTAN, du G5 ou encore de la MINUSCA, où la compétence des officiers d’état-major français est unanimement reconnue et où il est parfois beaucoup attendu de la France. » Or, « cette mission n’incombe pas à nos militaires du rang mais à notre encadrement, officiers et sous-officiers », a-t-il conclu.

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