« Il faut que tout change pour que rien ne change! » : La Belgique choisit le F-35 américain aux dépens d’un avion européen

Dans les années 1970, quatre pays européens, à savoir la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège, s’associèrent pour acheter en commun un même type d’avion de combat pour moderniser leurs forces aériennes respectives. Deux modèles furent ainsi mis en concurrence, pour ce que la presse spécialisée appelera plus tard le « marché du siècle » : le Mirage F1E du français Dassault et le F-16 de l’américain General Dynamics (repris, depuis, par Lockheed-Martin).

Le Mirage F1 avait plusieurs atouts de son côté : son développement terminé, il venait d’être mis en service au sein de l’armée de l’Air et il intéressait plusieurs pays, dont la Grèce et l’Espagne. Quant au F-16, il venait d’entamer ses vols d’essais et avait donc tout à prouver. Manque de soutien politique de la part du gouvernement français? Considérations à l’égard de l’Otan? Toujours est-il que l’avion américain fut choisi et commandé à 800 exemplaires, avec, à la clé, des compensations industrielles relativement généreuses.

Plus de quarante ans plus tard, la situation a évidemment beaucoup changé, sauf les vieux réflexes. « Il faut que tout change pour que rien ne change! », répliquait Alain Delon à Burt Lancaster dans « Le Guépard », le film de Visconti…

Ainsi, le Premier ministre belge, Charles Michel, s’est résolu à annoncer, ce 25 octobre, que son gouvernement avait retenu le F-35A Lightning II de Lockheed-Martin pour remplacer les F-16 de la composante « Air » de la Défense d’outre-Quiévrain. Et cela, alors qu’il venait d’assurer, 48 heures plus tôt, qu’aucune décision « n’avait été prise » à ce sujet devant les membres d’une commission parlementaire.

Cela étant, le 21 octobre, la presse belge avait révélé que le choix en faveur du F-35 avait déjà été fait au début du mois et que M. Michel cherchait un moyen de l’annoncer tout en cherchant à éviter de prêter le flanc aux critiques qu’allait susciter cette décision au regard de la défense européenne (qui, cela dit, compte beaucoup de croyants mais peu de pratiquants).

Pour rappel, soutenu par l’administration américaine, le F-35A était en lice face à l’Eurofighter Typhoon, dont la candidature était défendue par le gouvernement britannique. La France avait tenté de court-circuiter l’appel d’offres lancé par Bruxelles en proposant un partenariat stratégique et industrielle, reposant sur la livraison de 34 Rafale. Une démarche critiquée par les partisans de l’avion américain, à commencer par Steven Vandeput, le ministre belge de la Défense, qui y voyait des problèmes juridiques (ce qui reste toujours à démontrer…).

Pour faire « passer la pilule », M. Michel a annoncé une série d’achats militaires groupés. « Les avions et les drones sont américains, les autres équipements sont européens et les retours économiques seront pour la Belgique, pour l’ensemble du pays », a-t-il fait valoir.

Les drones évoqués sont des MQ-9 Reaper [2 systèmes]. Quant aux blindés, il s’agit de véhicules issus du programme français Scorpion, devant être acquis dans le cadre du projet « CaMo ». Au passage, on notera que Bruxelles a réduit le nombre d’unités commandées, puisqu’il est maintenant question de 442 blindés contre 477.

S’agissant du F-35, M. Vandeput a affirmé que c’est « l’avion le plus avancé pour le meilleur prix. » À vrai dire, l’appel d’offres « ACCap » [Air Combat Capability] était taillé sur mesure pour cet appareil. Ce qui explique la raison pour laquelle Boeing [F/A-18 Super Hornet] et Saab [JAS-39 Gripen E/F] décidèrent de gagner du temps et de l’argent en passant leur tour.

Même s’il sera cloué au piloris pour avoir choisi un avion américain aux dépens d’une solution européenne, le choix du gouvernement belge est logique : il lui fallait un appareil capable de permettre à la Belgique de remplir ses engagements à l’égard de l’Otan, dont la mise en oeuvre de la bombe nucléaire tactique américaine B-61, et d’évoluer dans des environnement contestés. Or, étant « furtif », le F-35A possède ces deux capacités.

Évidemment, la décision de Bruxelles n’est pas une bonne nouvelle pour l’autonomie stratégique européenne. D’autant plus qu’elle signifie que son industrie aéronautique ne pourra pas prétendre à participer au développement du standard F-4 du Rafale, ni , a priori, au programme franco-allemand SCAF [Système de combat aérien futur]. Cependant, la Belgique n’est pas la seule à blâmer dans cette affaire.

Les Pays-Bas, dont la proximité opérationnelle avec l’aviation militaire belge n’est plus à démontrer, ont, en quelque sorte, ouvert le bal, comme l’avait expliqué Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, lors d’une audition parlementaire, en février.

« On a comparé un F-35 qui n’avait pas encore fait son premier vol, dont le prix n’était pas garanti puisqu’il n’était même pas encore connu des forces américaines, à un Rafale qui a fait une évaluation complète à Istres, avec un engagement sur les prix ‘backé’ par les autorités françaises, avec un engagement sur les compensations à hauteur de 100%. Et malgré tout, le F-35 a gagné avec une note de 6,97 contre 6,95 pour le Rafale », avait rappelé M. Trappier, en évoquant l’appel d’offres néerlandais, lancé au début des années 2000.

Si le Royaume-Uni et l’Italie ont été associés à ce programme américain, d’autres pays européens ont fait le choix du F-35. Dont le Danemark et la Norvège. Et peut-être que d’autres suivront le mouvement (l’on verra ce que décidera l’Allemagne, où le chasseur-bombardier américain à la cote auprès de la Luftwaffe, pour les mêmes raisons, d’ailleurs, qu’en Belgique).

« Il faut que tout change pour que rien ne change! »… Quarante ans après le marché du siècle, Belgique, Danemark, Pays-Bas et Norvège ont de nouveau fait le même choix : celui d’un avion de combat américain au détriment d’une solution européenne.

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