Armée de Terre : « Nous devons penser à la perspective de conflits de haute intensité », prévient le général Facon

Quand il prit les rênes du Pentagone, en 2001, Donald Rumsfeld s’attacha à mettre en place une nouvelle doctrine resposant sur la « révolution dans les affaires militaires » [RMA], selon laquelle la technologie permettait d’avoir un avantage décisif sur l’adversaire, tout en engageant des unités aux effectifs réduits mais à la fois plus souples et plus agiles. Et cela supposait donc un recours accru aux forces spéciales, dont d’ailleurs un livre paru en France peu après demandait si ces elles n’allaient pas être « l’avenir de la guerre ».

Évidemment, cette doctrine ne laissa pas insensible de l’autre côté de l’Atlantique, d’autant plus que, dans la France de 2008, notamment, il n’était question que de menaces terroristes, d’attaques informatiques, de risques NRBC et de prolifération nucléaire.

« Je refuse d’être le ministre qui prépare la guerre d’avant, le ministre de l’immobilisme ou de la politique de l’autruche. Notre outil de défense doit s’adapter au monde qui bouge et à l’évolution de la menace », affirma sur tous les tons et toutes les ondes Hervé Morin, alors ministre de la Défense.

Seulement, la guerre d’avant peut aussi ressembler beaucoup à celle d’aujoud’hui ou de demain… Et c’est ce que l’on retient de l’audition du général Pascal Facon, le commandant du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement [CDEC], par les députés de la commission de la Défense, en septembre dernier [.pdf].

« Après des années marquées par des conflits asymétriques, nous devons penser à nouveau à la perspective de conflits de haute intensité, tant dans le domaine de la doctrine, que dans celui de la préparation opérationnelle des forces », a en effet conclu le général Facon. Et d’ajouter : « Cette possible reprise des combats de haute intensité nous impose d’augmenter les durées de formation, de nous entraîner dans un environnement où la supériorité aérienne est contestée, de combattre dans une ambiance NRBC – nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique –, de mettre en œuvre des moyens de sauvegarde face à des moyens d’artillerie ennemis de plus en plus efficaces. »

Invité à faire un exposé sur les retours d’expérience des conflits au Levant, en Ukraine et dans la bande sahélo-saharienne [BSS], le général Facon a dégagé leurs grandes tendances.

« Dans l’est de l’Ukraine et au Levant, ce qui frappe, c’est le retour de la masse. Le conflit en Ukraine est, en effet, le plus important en Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale », a-t-il dit. Et ce qu’il se passe dans le Donbass, où les forces gouvernementales ukrainiennes sont aux prises avec des séparatistes pro-russes, est « intéressant pour nous » au regard des « caractéristiques dimensionnantes, tant dans le domaine capacitaire que dans celui de la préparation opérationnelle. »

Aussi, pour le général Facon, « nous devons être prêts à nous engager dans un conflit approchant la haute intensité et les caractéristiques observées dans l’est de l’Ukraine », où les combats « ont opposé 30.000 Ukrainiens, déployant environ 2.000 véhicules blindés d’infanterie et 600 chars, faisant face à 2.000 combattants séparatistes équipés de véhicules blindés, souvent récupérés sur leurs adversaires. »

En septembre 2007, M. Morin avait déclaré : « On se rend compte aujourd’hui que 400 chars Leclerc ne représentent pas nécessairement l’équipement prioritaire pour nos armées. » Or, la guerre du Donbass dit tout le contraire. « L’Ukraine, c’est une bataille de blindés qui justifie la réflexion d’aujourd’hui sur l’après-char Leclerc, le programme Main Ground Combat System (MGCS) », a fait valoir le général Facon.

Le recours croissant à l’artillerie est aussi une caractéristique des conflits en Ukraine et au Levant, où 14.000 obus ont été tirés par les artilleurs français (avec leurs CAESAr) contre Daesh [État islamique, EI].

« Comme dans l’est de l’Ukraine, faute de la percevoir sur les théâtres du fait de l’asymétrie des forces, nous avons redécouvert la puissance de l’artillerie sol-sol et sol-air, l’effet de masse que cette arme procure dans des affrontements de haute intensité et la permanence des feux qu’elle assure. Ainsi, durant les affrontements en Ukraine, deux régiments ont ainsi été détruits à 70 % en l’espace de six minutes par des lance-roquettes multiples », a rappelé le commandant du CDEC, qui aussi constaté que « l’artillerie sol-air séparatiste a littéralement interdit, en détruisant les aéronefs ukrainiens, la libre disposition de l’espace aérien, pourtant indispensable pour assurer l’appui des troupes au sol. »

Aussi, le déni d’accès et la nécessité de disposer de capacités pour le contourner et accéder à l’espace de manoeuvres est, là aussi, crucial. « La puissance des feux indirects repose aussi sur des capacités dans le domaine des radars de contre-batterie et dans la lutte anti-drones, qui constitue le premier stade de la lutte permettant de se soustraire à la contre-batterie adverse », a par ailleurs expliqué le général Facon.

En outre, le maintien en condition opérationnelle des équipements est fondamental. Faute de quoi, « la masse ne sert à rien », a souligné le général Facon. Et pour cause : « sur le papier, les Ukrainiens disposaient d’une supériorité matérielle indiscutable avec 2 300 chars, 3 800 blindés et 3 100 pièces d’artillerie, mais, du fait des conditions de stockage de leurs matériels et de procédures de maintien en condition inappropriées, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) n’excédait pas 60 % au début des combats », a-t-il relevé.

Un autre enseignement à tirer de la situation en Ukraine porte sur le niveau des pertes, largement supérieur à celui « de nos opérations actuelles », ce qui pose des questions sur la « force morale » et « l’endurance ». Cela vaut aussi pour l’Irak, où 6.000 soldats irakiens ont été tués durant la bataille de Mossoul, soit un taux de pertes de 13,5%).

« Certes, il y a toujours trop de morts et de blessés, mais cela signifie que nous devons, à l’aune de ce retour d’expérience, nous préparer à gérer un nombre important de blessés », a commenté le chef du CDEC.

S’agissant de la bataille de Mossoul, le général Facon estime qu’elle et un « cas d’école » et reste « à ce jour, la plus emblématique de ce que pourrait être la guerre de demain. » Et d’expliquer : « En 2050, les villes regrouperont 75 % de la population mondiale. Parmi cette population citadine, 1,6 milliard d’individus vivront dans des bidonvilles en 2025, dont 500 millions sur le seul continent africain. Aux 14 milliards d’objets qui y sont connectés en 2014 correspondront 50 milliards d’objets connectés en 2050. C’est un milieu complexe pour l’action militaire qui exige donc un haut niveau d’entraînement et d’équipement. »

À Mossoul, les forces irakiennes et la coalition anti-jihadiste ont aligné 90.000 soldats, face à « moins 5.000, peut-être 10.000, combattants » de l’EI, utilisant des capacités nivelantes (drones, équipes mobiles antichars, bulldozers suicide, etc) et sachant manoeuvrer.

« Le combat en zone urbaine requiert chez le combattant des ressources psychologiques encore plus importantes qu’à l’accoutumée. Les soldats ne se voient pas, développent un sentiment d’isolement lié à la méconnaissance de la position de leurs camarades. L’oppression physique est également plus forte du fait de l’environnement bâti. Mais, ce qui est le plus marquant – et la bataille de Mossoul l’a parfaitement montré – c’est la nécessité de prendre en compte la population civile toujours présente », a expliqué le général Facon.

« On estime généralement qu’un rapport de force de 1 à 6 au profit de l’assaillant est nécessaire dans la conquête d’une ville ; en l’espèce, celui de 1 à 10 paraît plus réaliste », a-t-il ensuite estimé. « Nous en tirons la conclusion que la mobilité et la précision sont des éléments déterminants, de même que la capacité à se déplacer dans un espace géographique urbain totalement remodelé, en permanence, par les destructions », a-t-il continué.

Aussi, pour le chef du CDEC, face au retour des conflits de haute intensité, « nous devons disposer d’une capacité à générer et à entretenir une masse, pour conserver une réserve permettant de prolonger une action ou de réagir à celle de l’adversaire. » Et cela passe également par le « renouvellement de nos matériels par des capacités de quatrième génération. »

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