Affaire Skripal : Londres lance deux mandats d’arrêt contre des agents du renseignement militaire russe

Le 4 mars, les corps inanimés du colonel Sergueï Skripal, un ancien officier du renseignement militaire russe, et de sa fille, Yulia, furent retrouvés sur un banc d’un centre commercial à Salisbury, dans le sud de l’Angleterre. Un policier présent sur les lieux fut également hospitalisé. Il apparut par la suite que ces personnes avaient été exposées à du Novitchok, une substance chimique mise au point par l’Union soviétique lors de la Guerre froide.

Les analyses faites par quatre laboratoires différents sous l’égide de par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques confirmèrent les conclusions du Defence Science and Technology Laboratory [DSTL], un centre de recherche installé à Porton Down et relevant du ministère britannique de la Défense [MoD].

Peu après la tentative d’assassinat du colonel Skripal, les autorités britanniques mirent en cause leurs homologues russes. Si ces dernières ont démenti toute implication dans cette affaire, plusieurs pays alliés du Royaume-Uni prirent des sanctions contre la Russie, en expulsant des diplomates russes.

Visiblement, le gouvernement britannique était sûr de son fait quant à la provenance de la substance ayant empoisonné le colonel Skripal et sa fille. « La fabrication [du Novitchok] est à la porté de n’importe quel pays développé. On peut d’ailleurs avoir des indices sur la provenance du produit en analysant les impuretés qu’il contient », a ainsi expliqué Julien Legros, du Laboratoire de chimie organique et analytique [COBRA] à Science&Vie [n°1208, mai 2018]. Cependant, sur ce point, il faut préciser que, selon son directeur,  Gary Aitkenhead, le DSTL n’avait pas été en mesure de préciser l’origine exacte du poison en question.

En juillet, deux autres personnes furent exposées au même produit utilisé contre l’ex-officier du renseignement militaire russe et sa fille, lesquels avaient depuis quitté l’hôpital où ils furent soignés avant d’être placés en « lieu sûr ».

Seulement, l’une d’elles, Dawn Sturgess, une Britannique de 44 ans, succomba alors son compagnon, Charlie Rowley, fut tiré d’affaire. « Je me souviens avoir trouvé une bouteille de parfum [à Salisbury, ndlr] que j’ai ramassée et offerte à Dawn », confia-t-il plus tard aux enquêteurs.

Et, le 4 septembre, l’OIAC a de nouveau confirmé que la substance qui se trouvait dans la fiole « Nina Ricci » était aussi du Novitchok. Si les organes d’informations russes nient cette information, le rapport est pourtant très clair. « Les résultats de l’analyse des laboratoires environnementaux et biomédicaux recueillis par l’équipe de l’OIAC confirment les conclusions du Royaume-Uni concernant l’identité du produit chimique toxique qui a empoisonné deux personnes à Amesbury », y est-il affirmé.

Cette affaire a connu un tournant, ce 5 septembre, avec la diffusion, par les autorités britanniques, de mandats d’arrêt concernant Alexander Petrov et Rouslan Bochirov, deux agents présumés du GRU, c’est à dire le renseignement militaire russe.

« Ces deux noms sont toutefois considérés comme des pseudonymes », a précisé Neil Basu, chef du contre-terrorisme britannique, qui a diffusé les photos des deux suspects.

Sur la base des informations fournies par le renseignement britannique, « le gouvernement a conclu que ces deux individus […] sont des officiers des services de renseignement militaires russes, le GRU », a aussi affirmé Theresa May, le Premier ministre birtannique, à la Chambre des communes. Selon elle, cette opération a « certainement aussi été approuvée en dehors du GRU, à un niveau élevé de l’État russe. »

Ces derniers éléments semblent confirmer des informations diffusées en juillet, selon lesquelles Scotland Yard avait réussi à identifier deux ressortissants russes entrés au Royaume-Uni peu avant la tentative d’assassinat du colonel Skripal. À l’époque, les autorités britanniques n’avaient pas souhaité faire de commentaires. Pas plus qu’elles ne réagirent quand CNN affirma que leur service de renseignement avait intercepté, via leurs moyens déployés à Chypre, un message codé à destination de Moscou indiquant que les deux hommes avaient quitté la Grande-Bretagne.

Les deux agents russes présumés sont « sont arrivés à Londres le vendredi 2 mars à l’aéroport de Gatwick sur le vol SU2588. Puis ils ont séjourné dans un hôtel avant de se rendre le 3 mars à Salisbury pour un voyage de reconnaissance. Et le 4 mars, nous pensons qu’ils ont contaminé la porte d’entrée [du domicile du colonel Skripal] au Novichok » avant de quitter le pays par l’aéroport d’Heathrow le jour-même, a expliqué Neil Basu.

Le parquet britannique a indiqué qu’il avait retenu contre « Alexander Petrov » et « Rouslan Bochirov » les chefs d’accusation de « conspiration en vue de commettre un meurtre », de « tentative de meurtre » et de « possession de Novitchok. » Et de préciser qu’il n’adressera pas de demande d’extradition à la Russie car « la Constitution russe n’autorise pas l’extradition de ses ressortissants. »

Évidemment, Moscou a immédiatement réagi aux accusations britanniques. Tout d’abord en affirmant ne pas connaître les deux hommes incriminés. Puis en dénonçant une « manipulation de l’information. »

« Nous venons juste d’entendre deux noms, ou de les lire, mais ces noms ne me disent personnellement rien, comme à vous je pense. De plus, selon Scotland Yard ces noms seraient fictifs. Je ne comprends pas pourquoi et quel genre de signal envoie le côté britannique. C’est difficile à comprendre », a commenté Youri Ouckakov, un conseiller diplomatique du président Poutine.

En matière de « manipulation de l’information », le Kremlin en sait quelque chose. Depuis le début de l’affaire Skripal, les médias russes ont fait feu de tout bois pour discréditer les investigations britanniques mais aussi les Skripal.

Ainsi, comme le rappelle le rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie [CAPS] et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM] au sujet de la guerre « informationnelle », ces médias ont multiplié les « narratifs », parmi lesquels : « une overdose de Fentanyl, la russophobie, une expérimentation britannique, un coup monté pour justifier les sanctions, une tentative d’influencer les élections russes, un coup monté pour justifier un boycott de la coupe du monde de football en Russie, un coup des Américains, puis de l’Ukraine, puis de la future belle-mère de Yulia Skripal, puis des Britanniques pour détourner l’attention de la pédophilie de masse dans le pays, Skripal trafiquait des armes chimiques, une toxine de l’Otan, etc. »

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