Selon l’ONU, l’EI se réorganise et reste déterminé à frapper en Europe

En 2017, le nombre d’attaques commises en Europe et revendiquées par l’État islamique (EI ou Daesh) a diminué, très certainement en raison des défaites militaires subies au Levant par l’organisation jihadiste, qui a perdu la majeure partie des territoires qu’elle contrôlait. Pour autant, cette « accalmie » apparente ne doit pas être une invitation à baisser la garde. Bien au contraire.

« Les facteurs sous-jacents qui favorisent le terrorisme sont tous bien là, plus menaçants peut-être que jamais auparavant. Cela laisse penser que la diminution du nombre d’attaques terroristes ne
sera probablement que temporaire, jusqu’à ce que l’EI parvienne à se remettre sur pied et à se réorganiser, qu’al-Qaida intensifie son activité terroriste à l’échelle internationale ou que d’autres organisations fassent leur apparition sur la scène terroriste », prévient en effet le dernier rapport du groupe d’experts des Nations unies mandatés pour suivre l’application des sanctions imposées aux organisations jihadistes [.pdf].

D’après ce document, l’EI compterait encore entre 20.000 et 30.000 combattants dans ses rangs rien qu’en Irak et en Syrie. Ayant décentralisé sa structure (réduite) de commandement afin d’éviter les pertes de ses dirigeants, il poursuit sa mue en organisation clandestine, prête à mener des actions de guérilla. Et, pour cela, il peut s’appuyer sur des finances solides qui, bien que difficiles à cerner, sont évaluées à quelques centaines de millions de dollars.

Cette manne financière a pu être encore alimentée par les recettes pétrolières, tirées des territoires encore contrôlés par l’organisation. À ce titre, l’offensive turque contre le canton kurde d’Afrin a donné un répit à l’EI, les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par la coalition dirigée par les États-Unis, ayant été détourné pendant un temps du combat contre les jihadistes.

Cependant, le rapport des experts de l’ONU indique que l’EI a pris des dispositions pour préserver ses capitaux, en investissant dans l’économie locale, notamment dans des « commerces, des entreprises de construction, des bureaux de change, des sociétés agricoles, des pêcheries et des agences immobilières, y compris des hôtels. » Et, à l’avenir, il faut s’attendre à ce qu’il ait recours, comme al-Qaïda, aux enlèvements contre rançons, à la fraude au crédit et à l’assurance, au financement participatif ainsi qu’aux délits financiers sur Internet, via les cybermonnaies. En outre, pour le transfert de fond, l’organisation a recours au « hawala », c’est à dire un système traditionnel de paiement informel.

La question financière est centrale puisque l’argent sert à la structure centrale de Daesh de soutenir les branches qui lui sont affiliées. Cependant, note le rapport, « l’ampleur de ce soutien n’est pas claire ». Ce qui explique, sans doute, que la branche afghano-pakistanaise de l’EI ait mis en place ses propres structures pour se financer, comme par exemple en imposant une taxe sur les exportations de talc.

Justement, l’Afghanistan semble être une priorité pour l’EI qui, selon le rapport, continue d’y « faciliter la relocalisation de certains de ses principaux agents », Abu Qutaiba, ex-chef de la province irakienne de Salaheddine (Irak).

Malgré la pression des forces afghanes et américaines (voire celle des taliban), la branche afghano-pakistanaise de l’EI, qui compterait entre 3.500 et 4.000 combattants, s’est établie dans les provinces de Kounar, de Nangarhar et du Nouristan ainsi que dans celles de Jozjan et de Faryab. Elle y a en outre revendiqué des attentats meutriers, commis le plus souvent contre la communauté chiite.

L’Afghanistan risque de prendre une place de plus en plus importante étant donné que c’est depuis ce pays que « certains projets d’attentat récemment détectés et déjoués en Europe ont été conçus par l’EI. »

Dans le même temps, l’EI continue de s’intéresser de très près à la Libye, située à seulement à un peu plus de 1.000 kilomètres de l’Europe. La situation libyenne, marquée par l’instabilité politique, est une aubaine pour l’organisation jihadiste qui, malgré la perte de Syrte et la poursuite des frappes aériennes, a gardé « une capacité d’attaque considérable de part et d’autre des frontières du pays grâce aux tactiques asymétriques et aux engins explosifs improvisés auxquels il a de nouveau recours », explique le rapport.

Et l’EI a conservé des « cellules aux alentours de Tripoli, de Misrata et de Sabrata, dans l’ouest du pays, avec une forte présence dans le sud, près de Ghat et d’Aoueïnat, et à Ajdabiya et Derna, dans l’est. »

D’après les experts de l’ONU, la branche libyenne de l’EI disposerait de 3.000 à 4.000 combattants, sous les ordres de Abou Moaz el-Tikriti, un ressortissant irakien donné pour mort mais qui, visiblement, est toujours en vie. Il se trouverait dans « dans le triangle compris entre Bani Walid, le sud de Syrte et le district de Joufra. »

Quant à l’Europe, le rapport des Nations unies ne s’attarde pas sur la situation dans les Balkans, qui ont fourni plus de 800 combattants à l’EI. Le document se contente d’évoquer « certaines collusions liées aux filières d’approvisionnement [d’armes, sans doute, ndlr] et de migration » dans cette région.

Toutefois, la menace de l’EI contre le Vieux Continent revêt plusieurs aspects. Certes, le retour des « combattants étrangers » de Daesh en Europe constitue l’un des principaux dangers. Si ces « retours ne se sont pas matérialisés dans les proportions attendues », relève le rapport, il n’en reste pas moins que ces individus « pourraient représenter une menace accrue s’ils transmettaient leurs connaissances et leurs compétences en matière de drones, d’engins explosifs improvisés et de voitures piégées, certains [d’entre-eux] étant capables de construire des armes à partir d’articles disponibles dans le commerce. »

En outre, souligne le rapport, le retour de ces membres de Daesh « pourrait galvaniser les sympathisants locaux. » Et, à cet égard, poursuit-il, « le succès des mesures prises par les États Membres pour empêcher la plupart des déplacements » vers le Levant a « créé un nouveau problème, les individus aspirant à devenir des combattants terroristes étrangers devenant des ‘voyageurs frustrés' ». Du coup, l’organisation « dispose parmi eux de milliers de partisans actifs en ligne qui sont autant de recrues potentielles pour les réseaux terroristes. »

Car, et c’est une autre dimension de la menace, l’EI reste actif sur les réseaux sociaux « pour exhorter ses sympathisants en Europe à perpétrer des attentats dans leur pays de résidence. » Pour rappel, et pour donner un idée de l’ampleur du phénomène, le Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) contient plus de 20.000 noms, rien que pour la France.

« Le groupe continue de diffuser diverses méthodes d’attentat ainsi que des instructions pour fabriquer des bombes ou des gilets d’explosifs. Il a eu tendance ces derniers temps à chercher davantage à encourager la perpétration d’attentats qu’à les diriger ou à les faciliter, ses capacités opérationnelles extérieures s’étant détériorées », affirment les experts de l’ONU, qui ont aussi noté que la dernière coupe du Monde de football « a fait l’objet d’une propagande spécifique visant à amener des individus isolés ou autonomes à frapper pendant le tournoi. »

Un autre aspect de la menace est la radicalisation dans les « prisons européennes » qui est un « sujet de préoccupation constante et grandissante », assure le rapport. Et cela d’autant plus que « certaines des personnes détenues pour des infractions de terrorisme ces dernières années seront bientôt libérées et plusieurs tentatives d’attentat préparées en prison ont déjà été déjouées. »

Aussi, si le nombre d’attaques terroristes a diminué en 2017 en Europe, ce n’est pas forcément le cas des « activités d’inspiration terroriste. » Pour les experts des Nations unies, cela « donne à penser que ce calme relatif ne tient pas au manque de motivation des terroristes mais plutôt à l’amoindrissement de la capacité de l’EI à planifier et à exécuter » des attentats.

Reste qu’il ne faudrait pas non plus sous-estimer le travail des forces de sécurité. L’an passé, 20 attentats ont été déjoués en France et au moins trois autres l’ont été depuis le début de cette année.

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