Le ministre britannique de la Défense défie publiquement Theresa May sur les ambitions militaires du Royaume-Uni

Une fois qu’il aura quitté l’Union européenne [Brexit], le Royaume-Uni saura-t-il conserver son statut de puissance militaire de premier rang? En clair, pourra-t-il maintenir l’ensemble du spectre des capacités nécessaires pour être considéré comme tel (dissuasion nucléaire, capacité de projection et d’entrer en premier partout dans le monde, forces spéciales, etc…)

En tout cas, cette question fait débat outre-Manche, depuis que la presse a rapporté que Mme le Premier ministre britannique, Theresa May, a demandé à son ministre de la Défense, Gavin Williamson, ainsi qu’au général sir Nick Carter, le chef d’état-major des armées, de préciser ce qu’ils entendaient par « puissance militaire de premier rang » (ou « Tier One »).

« Cela a causé beaucoup de surprise et d’inquiétude parce qu’elle a été Premier ministre pendant deux ans, responsable ultime de nos forces armées, et qu’elle n’a jamais posé la question. Le fait qu’elle ait demandé une définition maintenant est interprété comme un signe de vouloir s’en écarter », a résumé un responsable britannique dans les colonnes du Telegraph.

Actuellement, les dépenses militaires britanniques s’élèvent à 40 milliards d’euros, soit à 2% du PIB, conformément aux engagements pris auprès de l’Otan. Seulement, au regard des besoins, ce montant est insuffisant pour permettre au pays de moderniser ses forces armées.

Certes, la Royal Navy disposera bientôt de deux porte-avions. Mais encore faut-il acquérir les avions et autres aéronefs nécessaires à leur mise en oeuvre. Pour cela, il est prévu de commander 48 F-35B [STOVL] sur 138 appareils au total.

En outre, la modernisation de la dissuasion nucléaire britannique, avec quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la classe Dreadnought va siphonner les budgets alors que le sort de la frégate de type 31e, nécessaire pour garder le rang de la Royal Navy, est incertain ou encore que la British Army a besoin de renouveler ses véhicules blindés de combat d’infanterie. S’ajouter à ce tableau (non exhaustif) le projet d’avion de combat Tempest, destiné à remplacer les Eurofighter Typhoon.

Pour financer l’ensemble des investissements qui permettraient de moderniser les forces britannniques, il faudrait un budget équivalent à 3% du PIB. Tel est le montant calculé par le comité de la Défense de la Chambre des communes. Faute de quoi, le Royaume-Uni serait « déclassé » militairement et sa relation étroite avec les États-Unis s’en trouverait menacée. Ce qu’a d’ailleurs souligné le chef du Pentagone, James Mattis, dans une lettre adressée Gavin Williamson, en juin dernier.

Or, Theresa May a décidé de faire des dépenses sociales une priorité, le National Health Service (NHS) devant bénéficier de 20 milliards de livres sterling supplémentaire. Ce qui correspond, grosso modo, à ce que réclame M. Williamson pour son ministère.

Lors d’un discours prononcé devant l’Atlantic Council, à Washington, le 7 août, le ministre britannique a en quelque sorte défié Theresa May.

« Nous avons toujours été une puissance militaire de premier niveau et nous serons toujours une puissance militaire de premier niveau, avec une force de dissuasion nucléaire indépendante (*), des forces spéciales et des capacités informatiques de classe mondiale, des forces conventionnelles exceptionnelles des forces en coalition pour obtenir des résultats communs », a-t-il lancé. « Les États-Unis n’ont jamais eu ni n’auront un allié plus fiable que la Grande-Bretagne. […] Notre programme de modernisation de la défense assurera que vous pouvez continuer à compter sur nous dans le futur, » a-t-il ensuite fait valoir.

Les propos de M. Williamson prennent le contre-pied de ceux tenus par la locataire du 10 Downing Street. En effet, Mme May avait affirmé que le Royaume-Unis resterait une « nation militaire de premier plan », se refusant à utiliser l’expression de « puissance militaire de premier rang », laissant ainsi entendre que des capacités pourraient être abandonnées. La différence n’est pas si ténue qu’elle en a l’air…

Alors que Mme May semble en difficulté dans les négociations relatives au Brexit, son ministre de la Défense a estimé que le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne serait une « opportunité ».

« D’une certaine manière, l’UE a limité notre vision, nous a découragés de regarder vers l’horizon. Nous sommes maintenant libérés pour aller plus loin et viser plus haut. Le Royaume-Uni est déterminé à saisir ces nouvelles opportunités », a estimé M. Williamson.

Pour le moment, ce dernier est loin d’avoir obtenu les crédits qui font défaut aux forces armées britanniques. Ce qui pourrait l’amener à mettre sa démission dans la balance. Cela serait un coup dur pour Mme May, dans la mesure où M. Williamson fut l’un de ses principaux alliés pour s’imposer en 2016 et qu’il reste une figure incontournable du Parti conservateur.

(*) Dont les missiles sont fournis par les États-Unis… En matière d’indépendance, on fait mieux.

Photo : Rencontre Williamson/Mattis, le 07 août (c) US DOD

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