Les instructeurs militaires russes envoyés en Centrafrique se tiennent à l’écart des combats, assure Moscou

Qui a tué le reporter de guerre Orkhan Djemal, le documentariste Alexandre Rostorgouev et le chef-opérateur Kirill Radtchenko, envoyés enquêter à Sibut [Centrafrique] sur les activités de la société militaire privée russe « Wagner »?

L’on sait que ces trois hommes, très expérimentés et reconnus par leurs pairs, travaillaient pour le Centre de gestion des investigations, financé par l’ex-oligarque et opposant en exil Mikhaïl Khodorkovski. Et qu’ils ont été tués dans la nuit du 30 au 31 juillet près de Sibut, alors qu’ils venaient d’arriver en Centrafrique. Mauvaise rencontre avec les membres d’un groupe armé rebelle ou avec des coupeurs de route sans foi ni loi? Ou bien est-ce que le sujet de leur reportage dérangeait?

Selon Anastasia Gorchkova, la rédactrice en chef adjointe du Centre de gestion des investigations, ces trois journalistes avaient tenté, avant d’être tués, d’accéder à une base où seraient affectés des employés de la SMP Wagner. Cette présence présumée de mercenaires russes serait en lien avec la livraison, par Moscou, d’armes à la Centrafrique. Une livraison qui avait été autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies, malgré des réserves exprimées par la France.

Seulement, ces armes n’ont pas été livrées seules : elles ont été accompagnées par des officiers et des « instructeurs militaires civils » russes… Et, depuis, Moscou étend son influence en Centrafrique, au point même de s’occuper de la sécurité du président Faustin-Archange Touadera.

Quel est le rôle exact de ces « instructeurs »? Et à quelle structure appartiennent-ils? Les trois journalistes russes devaient chercher des réponses à ces questions. Et pour cela, il fallait confirmer la présence de la SMP Wagner…

Théoriquement, les sociétés militaires privées sont interdites en Russie. Pour autant, certaines sont tolérées, comme Wagner, qui a été créée par Dmitri Outkine, un ancien du GRU, le renseignement militaire russe, avec, parmi ses actionnaires, Evguéni Prigojine, un homme d’affaires proche de Vladimir Poutine, par ailleurs mis en examen par la justice américaine qui le soupçonne d’être derrière une « usine à trolls » à l’origine de messages viraux émis lors de la course à la Maison Blanche, en 2016.

En outre, l’entreprise Wagner aurait été active dans le Donbass, dans le sud-est de l’Ukraine, aux côtés des séparatistes pro-russes. Mais c’est surtout en Syrie où elle a sans doute fait parler le plus d’elle. Selon des experts, elle y aurait même joué un rôle majeur dans plusieurs opérations du régime syrien.

Lors d’une conférence de presse donnée ce 3 août, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, s’en est pris aux médias, accusés de faire « tout leur possible pour déformer les informations et les choses réelles concernant la présence des instructeurs russes en Centrafrique. »

Envoyés en République centrafricaine « à la demande du président de ce pays […], les spécialistes militaires russes ne participent pas aux combats, ils ne s’occupent que de formation », a assuré Mme Zakharova. « Actuellement, 175 instructeurs russes travaillent en Centrafrique, dont cinq sont des militaires et 170 autres sont des civils », a-t-elle précisé, évitant ainsi d’utiliser le mot « mercenaire ».

« Avec l’assistance des spécialistes russes, quelque 600 militaires africains ont été formés et plusieurs d’entre eux ont déjà commencé à remplir la mission visant à lutter contre les groupes militaires illégaux et protéger la population civile », a encore fait valoir la porte-parole.

La formation des soldats centrafricains est également assurée par la mission de l’Union européenne EUTM RCA, dont le mandat vient d’être élargi et prolongé jusqu’en septembre 2020.

Évidemment, la présence russe en Centrafrique n’est pas sans calcul : il s’agit pour Moscou de se ménager un accès aux ressources naturelles du pays, dont l’uranium. Mais la Russie n’est pas la seule : la Chine a le même intérêt.

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