Une opération du service « action » du renseignement turc mise en échec en Mongolie

Depuis le 15 juillet 2016, les autorités turques traquent les militants du mouvement du ­prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir été l’instigateur de la tentative de coup d’État menée ce jour-là. Cela s’est traduit par des « purges » au sein de l’administration turque (et également dans la presse) mais aussi par des enlèvements à l’étranger (on parle de « rapatriement » à Ankara) de ressortissants turcs soupçonnés d’appartenir à cette organisation déclarée persona non grata.

Ainsi, le pouvoir turc s’était vanté, en avril dernier, d’avoir « rapatrié » plusieurs dizaines de personnes soupçonnées de sympathies « gülenistes ». Le Milli Istihbarat Teşkilatı [MIT, service de renseignement turc, ndlr] « a empaqueté 80 (partisans de Gülen) dans 18 pays différents et les ont ramenés en Turquie », avait en effet déclaré Bekir Bozdag, le porte-parole du gouvernement turc, lors d’un entretien donné à la chaîne Habertürk TV.

Plusieurs affaires ont défrayé la chronique. Il y a quelques jours, Yusuf Inan, un blogueur turc pro-Gülen, a été arrêté en Ukraine, où il résidait, par les services de sécurité ukrainiens, lesquels ont affirmé agir à la demande de leurs homologues turcs.

Depuis, Yusuf Inan a été expulsé vers la Turquie, comme l’a aussi été l’homme d’affaires Salih Zeki Yigit, qui aurait été « appréhendé par les services de sécurité turcs ». D’après le journal ukrainien Strana, ces expulsions se feraient dans le cadre d’un accord que Kiev aurait passé avec Ankara.

Mais la Turquie s’autorise à mener des opérations dans des pays qui ne peuvent rien lui refuser, en raison des liens économiques (voire politique) qu’elle y a tissé. Tel est le cas du Kosovo, où, en mars, six ressortissants turcs furent arrêtés pour leurs liens avec des écoles financées par le mouvement « Gülen » avant d’être remis aux autorités turques. Problème : le Premier ministre kosovar, Ramush Haradinaj, a affirmé ne pas avoir été mis au courant de cette opération, menée, selon lui, par « les services secrets et la police ». Et les médias locaux n’ont pas hésité pas à parler d' »enlèvement ».

Même chose au Gabon, où trois ressortissants turcs ont été arrêtés, puis placés en détention pendant une vingtaine de jours (sans que leurs avocats aient pu avoir accès à leur dossier) avant d’être mis, avec leurs familles, dans un avion « privé » par le MIT pour être transférés en Turquie.

Mais il arrive parfois que les services secrets turcs tombent sur un os. Comme en Mongolie, pays avec lequel la Turquie a convenu, en mars dernier, de renforcer ses relations bilatérales et d’augmenter « son flux d’investissement ». Or, visiblement, le MIT n’était pas en terrain conquis quand il a cherché à mettre la main sur Veysel Akcay, un directeur d’école âgé de 50 ans installé à Oulan Bator et soupçonné d’appartenir au mouvement güleniste.

Selon plusieurs témoins, cités par l’AFP, au moins cinq hommes ont kidnappé Veysel Akcay dans la matinée du 27 juillet, avant de prendre la direction, à bord d’un « mini-bus », de l’aéroport « Gengis Khan » de la capitale mongole, où un avion de type Bombardier CL604 Challenger les attendait.

Seulement, ce plan ne s’est pas déroulé sans accroc. La police ayant été avertie par les collègues de Veysel Akcay, dont les sympathies gülenistes ne seraient pas avérées, les autorités mongoles ont bloqué le CL604 Challenger sur le tarmac de l’aéroport.

Selon Flight Radar, cet avion, immatriculé TT-4010, appartient à la force aérienne turque. Arrivé quelques heures avant l’enlèvement de l’enseignant turc, la police mongole a donc vite compris les tenants et les aboutissants de cette affaire.

Des tractations entre les ravisseurs et les autorités locales ont alors commencé. Et elles ont duré environ 8 heures. Dans le même temps, le gouvernement mongol a convoqué des responsables de l’ambassade de Turquie à Oulan-Bator. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Battsetseg Batmunkh a ainsi prévenu les diplomates turcs que « toute tentative d’enlèvement d’une personne sur le territoire mongol constituait une « violation grave de
l’indépendance et la souveraineté » de la Mongolie.

De son côté, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, a nié ces accusations lors d’un entretien téléphonique avec Tsogtbaatar Damdin, son homologue mongol.

Finalement, le CL604 Challenger a pu décoller d’Oulan Bator, mais sans Veysel Akcay.

Reste maintenant à voir les conséquences diplomatiques de cette affaire, sachant que la Mongolie bénéficie de nombreux projets de l’Agence d’aide internationale turque. « Nous sommes une
nation indépendante. Pensez-vous que quelqu’un peut pratiquer des enlèvements dans notre pays », a résumé le parlementaire mongol Baasankhuu Oktaybri, cité par l’AFP.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]