Malgré les réticences du Sénat américain, un premier F-35A a été livré à la Turquie

Ayant remis son mandat en jeu, Recep Tayyip Erdoğan remportera-t-il les élections présidentielles et législatives du 24 juin prochain? A priori, rien n’est joué. Et il pourrait être mis en ballotage par Muharrem İnce, l’un des hommes forts de l’opposition turque. En tout cas, les résultats de ces deux scrutins pourraient marquer un tournant dans la politique étrangère de la Turquie.

Depuis 2016, et après des relations tendues à cause de l’affaire syrienne, Ankara a amorcé un spectaculaire rapprochement avec Moscou, au point de commander quatre batteries de défense aérienne russe de type S-400. Dans le même temps, les rapports de la Turquie avec l’Otan [dont elle est membre depuis 1952, ndlr] se sont dégradés, de même que ceux avec les États-Unis, en raison que ces derniers apportent aux milices kurdes syriennes pour leur engagement contre l’État islamique [EI ou Daesh].

Cela étant, le projet turc d’acquérir des systèmes russes S-400 suscite des inquiétudes aux États-Unis, voire chez plusieurs membres de l’Otan. Du moins ceux qui ont fait le choix d’équiper leurs forces aériennes avec l’avion de combat dit de cinquième génération F-35 Lightning II, dont la Turquie a commandé 100 exemplaires. Tout simplement parce que la Russie pourrait avoir accès à des informations confidentielles sur les caractéristiques de cet appareil, ce qui, de facto, le rendrait plus vulnérable.

« Le décisions stratégiques de la Turquie tombent malheureusement de plus en plus en désaccord avec les intérêts américains, voire en opposition avec eux » ce qui rend « le transfert de la technologie sensible du F-35 et de ses capacités de pointe au régime d’Erdoğan de plus en plus risqué », avait récemment résumé le sénateur James Lankford.

Aussi, pour cette raison, à l’occasion de la discussion sur le projet de loi relative au financement du Pentagone pour la prochaine année fiscale, le Sénat américain a voté, le 19 juin, une disposition prévoyant l’annulation des livraisons de F-35A à la Turquie si cette dernière menait à son terme l’acquisition des systèmes S-400 russes.

« Tout effort du gouvernement de la République de Turquie pour renforcer ses relations avec la Russie dégradera la sécurité générale de l’Otan et dégradera l’interopérabilité de l’Alliance », ont fait valoir les sénateurs américains.

Seulement, le chef du Pentagone, James Mattis, s’oppose à une telle mesure. Outre le fait qu’elle conforterait Ankara de se rapprocher davantage de Moscou, elle risque de cause d’autres difficultés pour le programme F-35 étant donné que la Turquie en est un partenaire de troisième niveau, avec l’implication de Turkish Aerospace Industries, Kale Group, ALP Aviation et Ayesas.

En attendant, un premier F-35A a été livré à la force aérienne turque, le 21 juin, par Lockheed-Martin, au cours d’une cérémonie organisée à Fort Worth [Texas]. Un second va suivre dans les prochains jours. Puis ces deux avions seront ensuite transférés sur la base aérienne de Luke [Arizona], où les pilotes turcs entameront leur « transformation » avec cet appareil, aux côtés de leurs homologues américains.

À cette occasion, le général turc Reha Ufuk Er s’est livré, au nom de l’état-major turc, à un plaidoyer en faveur de l’Otan, en soulignant « l’atout précieux » que sera le F-35 pour aider la Turquie à faire face aux problème sécuritaires auxquels elle est confrontée de par sa position géographique.

Aussi, a insisté le général Ukuf Er, les F-35A turcs « augmenteront significativement les capacités aérienne de l’Otan et contribueront à la stabilité mondiale. »

Chez Lockheed-Martin, les débats au Congrès sur un éventuel blocage des livraisons de F-35 à la Turquie laissent de marbre. « La Turquie est un partenaire précieux et nous l’apprécions vraiment. En fait, nous avons un partenariat vieux de plusieurs décennies avec la Turquie depuis la production de F-16 », a ainsi rappelé Jack Crisler, vice-président chargé du développement commercial et de l’intégration stratégique des F-35.

Et de rappeler que la Turquie a rejoint le programme Joint Strike Fighter [JSF – F-35] dès 2002 et que ses industriels interviennent sur la chaîne de production des avions. « L’industrie turque fait du bon travail en produisant des pièces de qualité et en les livrant à temps », a fait valoir M. Crisler.

Cela étant, le Congrès aura le dernier mot. Si la mesure adoptée par le Sénat est également votée par la Chambre des représentants, alors l’administration américaine sera contrainte d’exclure la Turquie du programme F-35 et d’en retirer les composants fabriqués par son industrie. Et les deux appareils livrés à la force aérienne turquie ne seront pas autorisés à quitter les États-Unis.

Mais on n’est pas encore là… Et le résultat des élections du 24 juin pourrait changer la donne. Toutefois, la cérémonie marquant la livraison de ce premier F-35A à la Turquie est l’occasion pour les médias turcs pro-gouvernementaux de renforcer l’image de M. Erdoğan.

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