La Turquie mise sur la sellette au sein de l’Otan?

En juillet 2016, et au regard des « purges » opérées dans l’administration et les forces turques au lendemain d’une tentative de putsch, John Kerry, alors chef de la diplomatie américaine, avait évoqué une possible exclusion de la Turquie de l’Otan. L’Alliance « a également des exigences en termes de démocratie », avait-il dit.

Mais, parce que la Turquie occupe une position stratégique (elle contrôle les accès entre la mer Noire et la Méditerranée) et que la base d’Incirlik était utilisée par la coalition anti-jihadiste pour ses opérations en Syrie, les choses n’allèrent pas plus loin.

« La Turquie ne nous facilite pas la tâche au sein de l’Otan », déclara en mars 2017, Ursula von der Leyen, la ministre allemande de la Défense, alors que les relations entre Berlin et Ankara étaient très tendues. « Mais personne ne doit s’imaginer qu’une Turquie en dehors de l’Otan nous écouterait mieux, ou serait plus facile à vivre, qu’une Turquie restée dans l’Otan », fit-elle ensuite valoir.

Depuis, et au-delà des bisbilles avec la Grèce [également membre de l’Otan, ndlr], la Turquie a amorcé un rapprochement spectaculaire avec la Russie, au point de lui commander des systèmes de défense aérienne S-400 « Triumph », et a lancé une offensive contre les milices kurdes syriennes, qu’elle considère comme « terroristes » alors même qu’elles bénéficient du soutien de plusieurs pays de l’Otan, membre de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis. Et cela ne va pas sans poser quelques problèmes.

Quand, en janvier dernier, avec des groupes rebelles syriens qu’elle soutient, la Turquie a lancé l’opération Rameau d’olivier contre les milices kurdes syriennes implantées dans le canton d’Afrin (nord-est de la Syrie), le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, estima qu’Ankara avait le « droit de se défendre » mais de « manière proportionnée et mesurée. » Et on en resta là, malgré les critiques virulentes du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’adresse de l’Alliance.

Seulement, le 27 avril, le Luxembourg a fait part de son intention de demander un débat au sein de l’Otan sur l’offensive turque dans le nord de la Syrie.

« L’Otan est un club où l’on respecte les valeurs démocratiques. Lorsqu’il y a des nuages, il faut un débat », a en effet affirmé Jean Asselborn, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, lors d’une réunion au siège de l’Alliance, à Bruxelles.

« Il faut pouvoir parler librement de tout problème qui se passe au sein de l’Otan. Les réunions ministérielles ne sont pas une caisse d’enregistrement des discussions entre les ambassadeurs », a insisté M. Asselborn, qui semble être le porte-parole d’autres pays membres.

En effet, plusieurs Alliés estiment que l’offensive turque dans le nord de la Syrie est un « facteur de tensions et de préoccupations », d’autant plus qu’Ankara a menacé, à plusieurs reprises, de l’étendre à Manbij, ville prise par les Forces démocratiques syriennes (dont les milices kurdes font parties) à l’État islamique (EI ou Daesh) en août 2016.

« Les kurdes des YPG ont aidé la coalition internationale et les forces américaines, ils ont libéré la ville de Raqqa. On ne peut pas faire l’amalgame avec des terroristes », a expliqué M. Asselborn, qui a assuré avoir le soutien de « beaucoup » de ses collègues. « Mike Pompeo [le nouveau secrétaire d’État américain, ndlr] n’a pas réagi mais je ne pense pas qu’il soit en désaccord », a-t-il ajouté.

Justement, le chef de la diplomatie américaine a eu un entretien avec son homologue turc, Mevlut Cavusoglu. Là, il lui a rappelé que les systèmes S-400 commandés par Ankara à la Russie ne pourraient pas être intégrés à ceux utilisés par les autres pays membres de l’Otan. Qui plus est, a indiqué un responsable américain, un tel achat pourrait être vu comme une « violation d’une loi américaine de 2017 visant à sanctionner les clients des industries russes de l’armement et de l’aérospatiale. »

À Washington, des élus du Congrès, tant démocrates que républicains, ont présenté une mesure visant à interdire la livraison d’avions F-35A à la Turquie, où un pasteur américain, Andrew Brunston, risque 35 ans de prison pour, selon la justice turque, avoir eu des relations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et réseau du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté le putsch raté du 15 juillet 2016.

Le président Erdogan « a continué sur la voie d’une gouvernance irresponsable et du mépris de la primauté du droit. Les libertés ont été diminuées au fur et à mesure qu’Erdogan a consolidé son pouvoir. Et les décisions stratégiques de la Turquie tombent malheureusement de plus en plus en désaccord avec les intérêts américains, voire en opposition avec eux », a expliqué le sénateur James Lankford. « Ces facteurs rendent le transfert de la technologie sensible du F-35 et de ses capacités de pointe au régime d’Erdogan de plus en plus risqué », a-t-il ajouté.

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