Obtenir un consensus sur une doctrine stratégique commune à la France et l’Allemagne sera long et compliqué

Le président Macron fait de la coopération avec l’Allemagne une priorité, notamment en matière de défense. Il est ainsi question de programmes d’armement mener en commun (drone MALE RPAS, successeur des chars Leclerc et Leopard, futur avion de combat, etc). Mais pas seulement puisque le domaine opérationnel est aussi concerné, via l’initiative européenne d’intervention, qu’il a proposée en septembre dernier.

Seulement, les choses ne sont pas si simples, comme l’a expliqué le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées (CEMA) aux députés de la commission de la Défense nationale, à l’occasion de son audition dans le cadre de l’examen du projet de Loi de programmation militaire 2019-2025.

« La coopération nécessite la définition d’un besoin capacitaire commun et, si possible, d’une doctrine commune. Il ne vous aura pas échappé qu’il s’agit d’un travail long et que c’est un chemin ardu que nous allons emprunter », a ainsi dit le CEMA aux parlementaires.

Et cela exige qu’il y ait un minimum de culture stratégique commune aux différents membres de l’Union européenne (UE). « C’est un sujet militaire, qui est aussi extrêmement politique, en particulier s’agissant de la coopération avec l’Allemagne », a souligné le général Lecointre.

Ainsi, pour ce dernier, la France doit être « à l’avant-garde des États membres » de l’UE dans « l’engagement pour la stabilisation de l’Afrique. »

« Nous avons un devoir de prise de conscience à cet égard. C’est le sens de la tentative de définition d’une culture stratégique commune européenne. Mais il s’agit également d’une question éthique, morale et politique. Nous avons le devoir d’essayer d’entraîner nos partenaires dans le règlement de la question africaine. Le développement et la stabilisation de l’Afrique sont indispensables dans les 50 prochaines années, compte tenu des déséquilibres démographiques prévisibles et de la crise migratoire qui en découle très directement et à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui », a expliqué le CEMA.

Reste que, en Europe, le Royaume-Uni, qui va quitter l’UE, est l’un des rares pays avec lequel la France partage la même culture stratégique. L’un et l’autre, a rappelé le général Lecointre, ont « développé et organisé des armées capables d’intervenir loin du territoire national, à nos franges, là où les menaces pèsent sur notre sécurité. » Or, a-t-il fait observer, « tel n’est pas le cas de l’Allemagne, pour des raisons historiques, et tel n’est pas le cas de nombreux pays de l’Union européenne. »

Aussi, toujours au sujet de l’Allemagne, avec laquelle « nous partageons des choses », « nous travaillons donc à la définition de cette culture stratégique commune qui devrait naturellement entraîner une conception commune des équipements que nous aurons à mettre en œuvre », a indiqué le général Lecointre.

Et l’affaire s’annonce compliquée avec l’accord de coalition gouvernementale entre les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et les sociaux démocrates (SPD) allemands.

« La réponse de Berlin aux propositions de M. Macron sur la défense est très prudente, et on ne voit pas ce qui pourrait lever les désaccords ou les crispations qui existent entre la France et l’Allemagne sur ces sujets », relevait, en février dernier, Christian Mölling, du Conseil allemand des relations internationales, dans les colonnes du quotidien Le Monde. Et d’ajouter : « Là où M. Macron souhaite une initiative européenne d’intervention autour d’un noyau dur de quelques États, l’Allemagne préfère rester dans le cadre de la ‘coopération structurée permanente’ pour augmenter les capacités militaires de l’UE. Dans ce domaine, le fossé entre Paris et Berlin s’est creusé plus qu’il ne s’est comblé ces derniers mois. »

En outre, pour coopérer, encore faut-il être en mesure d’apporter des capacités. Or, l’état de la Bundeswehr, décrit récemment dans un rapport officiel, est plutôt préoccupant. Et il n’est pas certain qu’elle puisse bénéficier de l’effort budgétaire nécessaire pour combler ses lacunes, étant donné que les sociaux-démocrates allemands sont opposés à porter les dépenses militaires à 2% du PIB.

Qui plus est, le plan de transformation de la Bundeswehr, qui devrait bientôt être publié, devrait revenir aux « fondamentaux ». Ainsi, un « concept provisoire de directive-cadre » ayant « fuité » dans la presse en avril 2017 met l’accent sur la défense territoriale et celle de la zone Otan, et non plus sur les interventions lointaines… Ce concept mise sur le développement d’unités communes avec des partenaires européens, à l’image de ce qui a été récemment avec les Pays-Bas.

Enfin, le contrat de coalition CDU/SPD pourrait donner lieu à des complications dans le domaine industriel dans la mesure où il prévoit davantage de restrictions en matière d’exportations d’équipements militaires (cela étant, entre les intentions et ce qu’il se fait, il y a de la marge…).

Cela étant, s’agissant de l’avion de combat du futur, élément du SCAF (Système de combat aérien du futur), le général Lecointre ne semble pas emballé par un « tête-à-tête » franco-allemand. « Il conviendra de réfléchir aux modalités d’une intégration du Royaume-Uni dans la coopération à venir avec l’Allemagne », a-t-il dit.

Photo : Ministère des Armées

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