Pour le chef du Pentagone, la Russie se pose en « adversaire stratégique »

L’affaire du Boeing B-777 de la Malaysia Airlines, abattu en juillet 2014 au-dessus du Donbass (sud-est de l’Ukraine), avait donné lieu à des accusations mutuelles entre Moscou et Kiev. Près de quatre ans plus, celle de l’empoisonnement du colonel Sergueï Skripal [un ancien officier du renseignement russe, ndlr] et de sa fille, le 4 mars, à Salisbury, dans le sud de l’Angleterre, se déroule d’une manière analogue.

Pour rappel, Londres a sanctionné la Russie en affirmant que le colonel Skripal, un ancien officier du renseignement russe réfugié au Royaume-Uni après avoir collaboré avec le MI-6, avait été exposé à un gaz innervant de qualité militaire, appartenant au groupe des agents « Novichok », soit des substances mises au point en Union soviétique par l’Institut de recherches d’Etat pour la Chimie et les Technologie organiques [GNIIOKhT], dans les années 1970/1980.

Ce qu’a évidemment contesté Moscou, qui a par ailleurs tenté de « mouiller » la Suède, la République tchèque et la Slovaquie dans cette affaire. Et le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov a même affirmé qu’il « n’y a eu aucun programme de développement d’armes chimiques sous le nom ‘Novitchok’ ni sous l’URSS, ni en Russie. »

Seulement, Sputnik, qui est financé par le gouvernement russe, a dit tout le contraire, en publiant, le 20 mars, les propos tenus par Leonid Rink, présenté comme étant l’un « un des créateurs de l’agent Novichok », auprès de Ria Novosti.

« La technologie de production de l’agent Novichok, identifié par les Britanniques comme la substance A234, est facilement disponible pour les professionnels », a ainsi assuré M. Rink. « Toute société pharmaceutique, toute société chimique est capable de le faire dans ses laboratoires », a-t-il ajouté. Et d’expliquer que « toutes les formules nécessaires pour créer le gaz neurotoxique Novichok, avait été précédemment dévoilées par le chimiste Vil Mirzayanov », réfugié aujourd’hui aux États-Unis. En outre, il a dit connaître « cinq personnes » connaissant cette technologie qui ont quitté la Russie dans les années 1990.

Par ailleurs, dans l’entretien qu’il a donné à Ria Novosti (qui a été modifié depuis), M. Rink a assuré qu’un « très grand groupe de spécialistes travaillait sur Novitchok à Chikhany et Moscou. » Et d’ajouter : « Il était nécessaire de synthétiser un échantillon et de suivre ensuite dix mille règles pour que le système soit efficace et durable via tous les moyens d’utilisation. Et finalement, nous avons obtenu de très bons résultats. »

Quant à Vil Mirzayanov, il a confié au journal Novaïa Gazeta que les agents Novichok ont été « adoptés dès la fin des années 1980 par l’armée » et que le « KGB s’y intéressait aussi. »

Nouvel acte, ce 21 mars. Lors d’une réunion organisée à l’intention des diplomates étrangers en poste à Moscou pour évoquer cette affaire, un haut responsable du ministère russe des Affaires étrangères a mis en cause le Royaume-Uni.

« Soit les autorités britanniques ne sont pas en mesure de fournir une protection contre ce type, disons-le ainsi, d’attaque terroriste, soit elles ont directement ou indirectement – je n’accuse personne de quoi que ce soit – mis en scène une attaque contre un citoyen russe », a en effet déclaré M. Ermakov, dont le ministère nie toujours l’existence du programme relatif aux agents Novichok.

Quoi qu’il en soit, si cette affaire a été évoquée par le président Macron lors de l’échange téléphonique qu’il a eu avec M. Poutine pour le féliciter de sa réélection, son homologue américain, Donald Trump, a préféré ignorer le sujet. « Nous avons eu un très bon appel, et je pense que nous nous rencontrerons probablement dans un avenir pas trop lointain pour discuter de la course aux armements, qui devient incontrôlable », a confié le locataire de la Maison Blanche à des journalistes.

Au même moment, le chef du Pentagone, James Mattis, adoptait un tout autre ton, alors qu’il recevait son homologue norvégien, Frank Bakke-Jensen. « Nous avons toujours souhaité coopérer avec la Russie quand c’était possible », a-t-il dit. « Malheureusement, ils ont choisi dernièrement d’être des adversaires stratégiques, depuis ce qui s’est passé en Grande-Bretagne jusqu’à ce qu’on a vu en Ukraine et en Crimée », a-t-il ajouté, en faisant une allusion à l’affaire Skripal.

« Donc tout en étant ouverts à [la coopération], nous voulons la paix, nous voulons la stabilité. […] Et en même temps nous défendrons nos institutions démocratiques et les membres de l’Alliance Atlantique », a conclu M. Mattis.

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