L’EI tente de reconstituer ses capacités en Libye et dans le sud des Philippines

Au cours de ces derniers mois, l’État islamique (EI ou Daesh) a subi de sérieux revers militaires en Irak et en Syrie (voire à Marawi, aux Philippines), avec la perte de la quasi-totalité des territoires qu’il contrôlait jusqu’alors. Et cela n’est pas sans conséquence sur ses finances étant donné que, selon un rapport de l’ONU [.pdf], ses revenus ont chuté de plus de 90% depuis 2015.

N’étant plus en mesure de tirer pleinement profit des sites de production d’hydrocarbures ou du trafic d’objets archéologiques, l’EI a adopté d’autres moyens de financement, comme l’extorsion et les rançons en échange de la libération d’otages. En outre, la manne de 30 milliards de dollars promise à l’Irak pour sa reconstruction pourrait être une opportunité pour l’organisation jihadiste.

« Les fonds internationaux pour la reconstruction commençant à affluer dans les zones libérées, il existe un risque que les investissements dans l’économie locale, en particulier dans les sociétés telles que les entreprises de construction, soient utilisés de façon détournée », prévient ainsi ce rapport des Nations unies.

Par ailleurs, l’EI n’a pas perdu sa capacité de transférer des fonds dans la mesure où il utilise le « hawala », un système islamique informel permettant de transmettre de l’argent sans passer par les canaux bancaires, grâce à un réseau d’agents de change, appelés « hawaladars ». En outre, souligne le rapport, l’organisation « s’infiltre dans des entreprises légitimes de la région [Moyen-Orient, ndlr] en utilisant des façades, comme des individus ostensiblement ‘irréprochables’ qui peuvent avoir accès au système financier régulier ». Et d’ajouter : « Il demeure préoccupant que l’EI puisse utiliser ces entreprises pour obtenir des profits et investir les fonds blanchis aux niveaux local, régional et international. »

La branche afghano-pakistanaise de l’EI (ou EI-K) a bénéficié, ces dernières années, de fonds transférés par la « maison mère ». Mais elle a été encouragée à subvenir elle-même à ses besoins financiers en pratiquant l’extorsion auprès des populations, les enlèvements contre rançons et la production agricole et de bois dans la province afghane de Nangarhar.

L’EI-K « manque actuellement de sources de revenus internes importantes et aura du mal à survivre sans l’appui du noyau de l’EI », estime le rapport des Nations unies. Pour le moment, il n’a pas été constaté un afflux important de jihadistes étrangers ayant quitté le Levant pour la zone afghano-pakistanaise. En revanche, il en va autrement pour deux autres régions : l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud-Est.

En Afrique du Nord, la « résilience » de la branche égyptienne de l’EI [l’ex-Ansar Bait al-Maqdis] dans le Sinaï est préoccupante (d’où la vaste opération militaire égyptienne en cours). Qui plus est, elle a des relations avec son homologue libyenne. « Un membre libyen haut placé de l’EI siège à la Choura d’Ansar Bait al-Maqdis », indique le rapport de l’ONU.

Justement, c’est en Libye, où il a subi une défaite militaire à Syrte, que l’EI semble « déterminée à reconstituer ses capacités ». Ainsi, selon le document, « ses effectifs ont été renforcés dans de nombreux secteurs par des combattants mutés depuis le sud de la Libye et des combattants terroristes étrangers rapatriés ou relocalisés depuis l’Irak et la Syrie. »

La branche libyenne de l’EI, poursuit le rapport, « continue de planifier et d’exécuter des attaques ponctuelles en Libye pour démontrer à ses sympathisants qu’il conserve une importance. » En outre, la Libye, minée par les divisions politiques, reste un « hub » terroriste (l’expression a été utilisé par Jean-Yves Le Drian, quand il était ministre de la Défense) étant donné que plusieurs groupes jihadistes affiliés à l’État islamique y envoient des « combattants » pour de la formation, de l’approvisionnement en armes et de l’appui logistique.

Ainsi est-ce le cas de Boko Haram, le groupe jihadiste nigérian. Ce dernier « maintient également de petites cellules à l’intérieur de la Libye » et les « États membres se sont déclarés préoccupés par les mouvements possibles » d’éléments de « Boko Haram vers d’autres États de la région à travers les frontières de l’ouest et du sud-est de la Libye », note le rapport.

Le territoire libyen est aussi la destination privilégiée pour les jihadistes européens ayant l’intention de rentrer dans leur pays d’origine. « Il est à prévoir que les combattants terroristes étrangers qui retournent dans leur pays ou se réinstallent auront recours à ces réseaux car ils préfèrent emprunter des voies détournées, évitent de traverser les villes et choisissent plutôt de passer par des zones reculées pour ne pas être détectés », explique l’ONU.

Pour se financer, la branche libyenne de l’EI pratique l’extorsion de fonds à des barrages routiers et continue de prélever des « taxes » auprès des réseaux de passeurs de migrants et de contrebandiers. « Mais on ne sait pas avec certitude s’il contrôle lui-même ces réseaux », admet l’ONU.

Ces modes de financement sont les mêmes que ceux utilisés par les groupes jihadistes actifs dans la bande sahélo-saharienne et se réclamant de l’EI, comme « l’État islamique dans le grand Sahara » (EIGS), qui a revendiqué, en janvier, sa première attaque contre la force française Barkhane, au Mali. « Les États Membres demeurent préoccupés par la persistance des déplacements de combattants terroristes étrangers à travers la région. En outre, certains combattants auraient changé leur allégeance d’un groupe à l’autre pour améliorer leur situation économique, » avance le rapport.

L’Asie du Sud-Est est l’autre destination choisie par les jihadistes étrangers ayant quitté le Levant, malgré le revers subi par l’EI dans le sud des Philippines, à Marawi. Mais certains estiment que « le siège prolongé de la ville représentait une victoire symbolique » pour l’organisation terroriste et « sa propagande », au point d’être une « source d’inspiration pour d’autres militants. »

L’attaque de Marawi par les groupes Abu Sayyaf et Maute a été facilitée, affirme le rapport, par des « financements provenant du noyau de l’EI », ces derniers s’étant élevés à des « centaines de milliers de dollars », envoyés aux Philippines par « le truchement d’un pays tiers », qui n’a pas été précisé.

En outre, à Marawi, les jihadistes ont eu le temps de piller des banques. Et, d’après l’armée philippine, cet argent leur sert maintenant à recruter.

Cité par l’agence Reuters, Ebrahim Murad, le chef du Front Moro de libération islamique, un groupe séparatiste qui a signé un accord de paix avec Manille, a affirmé que des membres de l’EI ont « recruté des combattants dans des communautés musulmanes isolées ».

« Ces extrémistes vont dans les madrasas, enseignant aux jeunes musulmans leur propre version du Coran, et certains pénètrent dans les universités locales pour influencer les étudiants, semant les graines de la haine et de la violence », a expliqué M. Murad, selon qui des jihadistes étrangers venus du Moyen-Orient envisageraient d’attaquer les villes d’Iligan et de Cotabato.

Outre le sud des Philippines, l’Indonésie et la Malaisie sont également concernées par cette menace. Le premier pays compte deux groupes liés à l’EI : le Jamaah Ansharut Daulah et le Jamaah Ansarul Khilafah. Quant au second, il a déjoué plusieurs complots terroristes (dont certains avaient été planifiés depuis la Syrie) et démantelé des cellules de recrutement de combattants étrangers destinés à rejoindre Marawi.

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