Attaques chimiques : Que fera la France si Damas a franchi les lignes rouges fixées par le président Macron?

Au contact des voies respiratoire, le dichlore a la particularité de se combiner avec le dihydrogène, ce qui donne du chlorure d’hydrogène (c’est à dire de l’acide chlorhydrique). Ce qui provoque, chez la personne qui en inhalé, de vives irritations, de la toux et des difficultés repiratoires, voire la mort si la quantité absorbée est importante.

C’est pour ses propriétés que ce gaz suffocant (également appelé Bertholite), par ailleurs 2,5 fois plus dense que l’air, a été utilisé à Ypres par l’armée allemande, le 22 avril 1915, lors de la première grande attaque chimique de l’histoire. Il est estimé que 6.000 soldats français y laissèrent la vie.

Alors que, théoriquement, Damas n’a plus d’armes chimiques après l’accord passé entre la Russie et les États-Unis, après l’utilisation de gaz sarin dans le secteur de la Goutha, en août 2013, plusieurs attaques commises avec du dichlore furent signalées en Syrie au cours de ces dernières années.

Dans différents rapports d’enquête, le Joint Investigative Mechanism (JIM), la commission d’enquête conjointe de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OAIC), avait établi la responsabilité des forces gouvernementales syriennes pour l’utilisation de gaz chloré dans plusieurs attaques.

Pour autant, cela ne donna pas lieu à de réactions autres que diplomatiques chez les Occidentaux (États-Unis, France et Royaume-Uni en particulier). Et pour cause : ayant fixé des « lignes rouges » au sujet de l’usage d’armes chimiques, ils auraient dû envisager une option militaire, comme lors de l’affaire de la Goutha.

Cela étant, quand un nouvelle attaque au gaz sarin (qui est 1.000 fois plus toxique que le dichlore) fut lancée à Khan Cheikhoun, lors de combats dans le gouvernorat de Hama, la réponse des États-Unis fut quasiment immédiate, avec le bombardement de la base syrienne d’al-Shayrat par l’US Navy.

L’attaque chimique de Khan Cheikhoun fut attribuée par le JIM au régime syrien. Mais ce dernier réfuta les conclusions de l’enquête, de même que la Russie. D’où les critiques adressées par Moscou contre cette commission d’enquête, dont le mandat ne fut pas renouvelé à cause d’un veto russe au Conseil de sécurité des Nations unies.

Depuis, les attaques chimiques, utilisant probablement du gaz chloré, semblent se multiplier en Syrie. Fin janvier, le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, en a fait porter le chapeau à Moscou.

« Quel que soit l’auteur des attaques, la Russie porte, en dernier ressort, la responsabilité pour les victimes de la Ghouta orientale », a-t-il affirmé, lors d’un déplacement à Paris. « Les récentes attaques dans la Ghouta orientale laissent craindre que le régime de Bachar al-Assad puisse continuer à utiliser des armes chimiques contre son propre peuple », a-t-il ajouté. Et d’insister : « La Russie doit pour le moins arrêter de mettre son véto ou s’abstenir dans tout vote futur sur cette question. »

Le 6 février, la Commission internationale d’enquête sur la Syrie mandatée par les Nations unies a indiqué avoir ouvert une enquête sur des attaques chimiques présumées du régime syrien, après avoir reçu « de multiples informations – qui sont actuellement en cours d’investigation – selon lesquelles des bombes contenant apparemment du chlore auraient été utilisées dans la ville de Saraqeb, dans la province d’Idlib, et à Douma, dans la Ghouta orientale. »

Sur ce point, la diplomatie française marche sur des oeufs. En effet, quand il reçut son homologue russe, Vladimir Poutine, au château de Versailles, en mai dernier, le président Macron avait été très clair. « J’ai indiqué qu’une ligne rouge très claire existe de notre côté : l’utilisation d’une arme chimique par qui que ce soit », ce qui fera « l’objet de représailles et d’une riposte immédiate de la part des Français », avait-il prévenu.

Plus tard, dans un entretien donné au Figaro, le président Macron s’était montré encore plus incisif. « Quand vous fixez des lignes rouges, si vous ne savez pas les faire respecter, vous décidez d’être faible. Ce n’est pas mon choix. S’il est avéré que des armes chimiques sont utilisées sur le terrain et que nous savons en retracer la provenance, alors la France procédera à des frappes pour détruire les stocks d’armes chimiques identifiés », avait-il lancé.

D’où la prudence (relative) du Quai d’Orsay. « La France est préoccupée par les informations répétées selon esquelles du chlore aurait été employé à plusieurs reprises contre des populations civiles en Syrie au cours de ces dernières semaines », a commenté, le 6 février, sa porte-parole du ministère, Agnès von der Mühll. « Il est encore tôt à ce stade pour confirmer la nature chimique et la portée de ces attaques », a-t-elle continué.

« Nous avons tous les éléments (…) – je parle avec précaution parce ce que tant que ce n’est pas complètement documenté, il faut être prudent – mais toutes les indications nous montrent aujourd’hui qu’il y a l’usage du chlore par le régime en ce moment en Syrie », a déclaré, le lendemain, Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères. « Il y a une enquête qui est ouverte par les Nations unies sur ce sujet depuis hier. Il y a encore cette menace de l’utilisation de l’arme chimique, c’est une situation très grave », a-t-il estimé.

La prudence est aussi de mise à l’Hôtel de Brienne. Invitée à s’exprimer sur les ondes de France Inter, ce 9 février, Florence Parly, la ministre des Armées, a fait valoir que, pour l’instant, il n’y a pas de « certitudes » sur des attaques chimiques présumées en Syrie.

« On a des indications possibles d’utilisation du chlore mais nous n’avons pas de confirmation absolue. C’est donc ce travail de confirmation que nous sommes en train de faire, avec d’autres, parce qu’évidemment il faut que les faits soient établis », a expliqué Mme Parly.

En outre, la ministre des Armées a répété l’appel de la France pour l’arrêt des bombardements intenses sur les zones rebelles d’Idleb et de la Ghouta orientale ainsi qu’en faveur de la mise en place de couloirs humanitaires.

« Ce sont des combats inacceptables par leurs violences et par leurs conséquences sur les populations. […] Nous appelons à leur arrêt […] et à ce que des couloirs humanitaires puissent être ouverts parce que ce sont des populations civiles qui sont visées », a affirmé M. Parly.

Or, l’usage d’armes chimiques n’est pas la seule ligne rouge fixée par M. Macron pour la Syrie. Selon ses propos publiés par le Figaro, il en avait donné une deuxième.

« J’ai deux lignes rouges : les armes chimiques et l’accès humanitaire. Je l’ai dit très clairement à Vladimir Poutine, je serai intraitable sur ces sujets. Et donc l’utilisation d’armes chimiques donnera lieu à des répliques, y compris de la France seule. La France sera d’ailleurs à cet égard parfaitement alignée avec les États-Unis », avait affirmé le président Macron.

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