Offensive turque à Afrin : Les Kurdes syriens appellent la coalition anti-EI à « prendre ses responsabilités »

La milice kurde syrienne (YPG), bras armé du parti politique PYD, lui-même lié au Parti des travailleurs du Kurdistan, à l’origine d’une insurrection en Turquie, a toujours été en première ligne face à l’État islamique (EI ou Daesh). Elle lui infligea l’un de ses premiers revers militaires importants en brisant le siège de Kobané, en 2014, avec le soutien de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis.

Mais au fil de leurs victoires face à l’EI, les Kurdes syriens ont assis leur emprise territoriale dans le nord de la Syrie et proclamé, en mars 2016, une entité « fédérale démocratique » dans les zones passées sous leur contrôle, dont les cantons d’Afrin, de Kobané et de Djézireh.

Puis, toujours avec l’appui de la coalition (un appui critiqué par Ankara), ces miliciens kurdes ont formé, avec les combattants d’autres groupes arabes armés, les Forces démocratiques syriennes (FDS). Ces dernières ont ensuite joué un rôle déterminant contre l’EI, en particulier à Raqqa.

Seulement, pour la Turquie, il est inacceptable que les Kurdes syriens puissent disposer d’un territoire à sa frontière avec la Syrie. D’où le lancement, en août 2016, de l’opération « Bouclier de l’Euphrate ». Si cette dernière permit de chasser l’EI des localités de Jarabulus et d’al-Bab (avec un appui russe), son objectif final était de s’emparer de la ville de Manbij, alors contrôlée par l’YPG après des combats contre les jihadistes. Finalement, les forces turques et leurs supplétifs [les rebelles syriens soutenus par Ankara] ne purent aller plus loin, les États-Unis ayant envoyé des blindés Stryker du 75th Ranger Regiment dans la région qu’elles convoitaient.

La nouvelle opération – « Rameau d’olivier » – menée par la Turquie dans le secteur d’Afrin pour en chasser les miliciens kurdes ne serait qu’une étape vers Manbij, située plus à l’est. En tout cas, c’est ce qu’a affirmé le président turc, Recep Tayyip Erdogan.

Le secteur d’Afrin se trouvant dans une zone d’influence russe, l’offensive turque n’a pu être lancée qu’avec le consentement de Moscou, même si le régime syrien a dit tout le mal qu’il en pensait. Quant aux États-Unis, leur position est des plus inconfortables. D’un côté, il leur faut ménager la Turquie, dont la position géographique est stratégique pour l’Otan dont elle est membre. De l’autre, leur appui aux FDS – et donc aux milices kurdes – est nécessaire pour empêcher toute résurgence de l’EI et limiter l’influence iranienne en Syrie.

D’où le numéro d’équilibriste auquel se livre James Mattis, le chef du Pentagone. « La Turquie a été franche, ils nous ont avertis avant de lancer l’aviation, ils nous ont dit qu’ils allaient le faire en consultation avec nous et nous travaillons maintenant sur la marche à suivre avec le département d’État », a-t-il déclaré, le 21 janvier.

La Turquie « est le seul pays de l’Otan avec une insurrection active à l’intérieur de ses frontières et les préoccupations sécuritaires de la Turquie sont légitimes », a encore fait valoir M. Mattis. « Nous appelons Ankara à faire preuve de retenue, à s’assurer que ses opérations militaires restent d’une portée et d’une durée limitées et à scrupuleusement éviter toute victime civile », a, de son côté, déclaré Heather Nauert, la porte-parole de la diplomatie américaine.

Sauf que les Kurdes syriens ne peuvent pas s’accommoder d’une telle position. « La coalition internationale est appelée à prendre ses responsabilités vis-à-vis de nos forces et de notre peuple à Afrine », ont ainsi réagi les FDS.

Et d’ajouter : « La coalition internationale, notre partenaire dans la lutte contre le terrorisme, avec qui nous avons mené ensemble des batailles honorables pour éliminer le terrorisme […] sait très clairement que cette intervention turque est là pour vider de son sens la victoire finale » contre l’EI.

En outre, les FDS ont accusé Ankara de vouloir « détourner » l’attention des miliciens kurdes syriens vers Afrin, ce qui les obligeraient ainsi à relâcher la pression sur l’EI. « Malgré la perte de ses principaux bastions […] Daesh garde une force non négligeable dans un triangle à la frontière syro-irakienne, avec des milliers de combattants, sans compter les dizaines de cellules dormantes dans les régions libérées », ont-elles averti.

Parmi les membres de la coalition, la France a particulièrement été critique à l’égard de l’offensive turque à Afrin. Ainsi, la ministre des Armées, Florence Parly, a appelé Ankara à y mettre un terme. « Il faut que nous revenions à l’essentiel, c’est la lutte contre le terrorisme », a-t-elle dit.

Cette offensive turque « pourrait détourner les forces combattantes kurdes, qui sont au côté et très engagées au sein de la coalition à laquelle la France appartient, du combat primordial [contre le terrorisme] », a continué Mme Parly. « Ce sont les forces kurdes syriennes dont il s’agit, ne l’oublions pas, et il me semble que la préoccupation du président Erdogan ce sont les forces kurdes turques », a-t-elle ajouté.

« La France est attentive à la sécurité de la Turquie, de son territoire et de ses frontière. […] Elle appelle les autorités turques à agir avec retenue dans un contexte difficile où la situation humanitaire se détériore dans plusieurs régions de Syrie en conséquence des opérations militaires qui y sont menées par le régime de Damas et ses alliés », a réagi le ministère français des Affaires étrangères, lequel a insisté sur « l’importance prioritaire de conduire à son terme la mission de la coalition internationale contre Daesh ».

En attendant, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a demandé une réunion en urgence du Conseil de sécurité des Nations unies « évaluer les risques humanitaires » en Syrie.

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