Des avocats de jihadistes portent plainte contre les autorités françaises pour « détention arbitraire » et « abus d’autorité »

Après les revers militaires infligés à l’État islamique (EI ou Daesh), la question du sort des jihadistes étrangers faits prisonniers en Irak et en Syrie se pose désormais aux autorités de leur pays d’origine. Or, ces dernières ne souhaitent par leur retour, comme l’avait expliqué, en novembre, Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères.

« S’il y a des prisonniers en Irak, les choses sont simples : c’est aux autorités judiciaires irakiennes de traiter la situation des hommes et des femmes combattantes. […] Ils savaient très bien ce pour quoi ils se rendaient sur place, c’est-à-dire pour combattre avec Daesh. Donc ce sont des ennemis, ils ont combattu la France. Ils ont contribué à faire en sorte qu’il y ait des attentats dans ce pays », avait affirmé M. Le Drian à l’antenne d’Europe1.

S’agissant des jihadistes capturés en Syrie, les choses sont plus compliquées car, avait souligné le chef de la diplomatie française, « il n’y a pas de gouvernance avérée ». S’agissant des enfants de jihadistes, Paris « saisit pour l’instant, à chaque cas identifié, la Croix rouge internationale ». Et d’ajouter :  » Et à ce moment-là, lorsqu’ils reviennent en France, ils sont mis sous la responsabilité du juge pour enfants qui décidera pour eux. »

Cela étant, le procureur de Paris, François Mollins, avait mis en garde contre « toute naïveté » au sujet du retour en France des familles de ces jihadistes. Au retour de certains, « je n’ai pas perçu véritablement de regret dans ce que j’ai entendu » et « on est face à des gens qui sont plus déçus que repentis », avait-il dit.

Début janvier, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a fait une distinction entre les jihadistes qui rentreraient en France par leurs propres moyens et ceux – une trentaine – détenus par les milices kurdes syriennes. « Si nous agissons dans le cadre de la légalité internationale, nous prenons en charge toute personne sur le territoire français, pour autant nous n’irons pas les chercher où ils sont », avait-elle expliqué à BFMTV.

Dans un entretien publié par Libération [15/01], la ministre des Armées, Florence Parly, a précisé la position du gouvernement. « Dans l’examen des situations, l’intérêt de l’autorité judiciaire française est pris en compte. Mais beaucoup de ces personnes détenues sur ces théâtres continuent d’affirmer leur volonté de rentrer pour poursuivre le combat en France. Aussi, le souhait légitime des autorités locales de juger les crimes commis sur leur territoire ne saurait être négligé », a-t-elle dit.

En Irak, et comme l’avait déjà indiqué M. Le Drian, la situation est simple. Et si ce pays applique la peine de mort, Mme Parly a fait valoir que « dans le monde entier, des ressortissants français, qui ne sont pas des terroristes, risquent la peine capitale s’ils commettent des crimes dans les pays où ils se trouvent et qui l’appliquent ». Aussi, a-t-elle continué, « le réseau diplomatique leur porte l’assistance due à tout citoyen français, mais chaque pays a des règles. »

Quant à la Syrie, « dans la partie tenue par les Kurdes, les autorités locales se prononceront sur la responsabilité éventuelle des ressortissants français concernant les crimes ou délits commis sur ce territoire », a affirmé Mme Parly, qui a également précisé qu’une « cinquantaine d’enfants [de jihadistes] sont déjà rentrés, dont la moitié ont moins de 5 ans. Tous sont pris en charge par la justice et placés dans des familles d’accueil ou chez des proches. »

Seulement, le cas des jihadistes capturés par les Forces démocratiques syriennes, dont les milices kurdes constituent le gros des troupes, risque de donner lieu à une bataille juridique.

Le 3 janvier, Me Bruno Vinay, l’avocat de la jihadiste française Emilie König, capturée en décembre par les miliciens kurdes, a donne le ton en demandant le rapatriement de sa cliente aux autorités françaises qui auraient, selon lui, le « l’obligation de la juger. » Et d’ajouter : Elle « se tient à la disposition de la justice […] dans un esprit de coopération. »

En outre, a continué l’avocat, Emilie König « est la mère de trois enfants français », « tout doit être mis en oeuvre pour faciliter leur rapatriement, conformément aux engagements internationaux de la France. »

Pour rappel, Emilie König, radicalisée au contact du groupe « Forsane Alizza », aujourd’hui dissous, est partie en Syrie en 2012. Deux ans plus tard, elle a été placée sur la liste noire des Nations unies relative aux combattants les plus dangereux. Propagandiste et recruteuse notoire de Daesh, elle a lancé régulièrement des appels à attaquer les institutions françaises et à s’en prendre aux femmes de militaires français.

Ce 17 janvier, les avocats de femmes et d’enfants de jihadistes français sont passés à la vitesse supérieure en déposant une plainte contre les autorités françaises pour « détention arbitraire » et « abus d’autorité. »

« Ces femmes parties sur zone font l’objet de poursuites judiciaires en France » et « acceptent de faire face à leur responsabilité pénale dès leur arrivée sur le territoire français », font en effet valoir les avocats Marie Dosé, William Bourdon, Martin Pradel et Marc Bailly, dans un communiqué.

« Le Kurdistan syrien n’ayant aucune existence légale et ne disposant par là-même d’aucune institution souveraine, ces femmes et ces enfants sont tous détenus sans droit ni titre », affirment ces avocats, pour qui les autorités françaises « contribuent à la poursuite de ces détentions arbitraires » et « exposent en outre ces mères et ces enfants à des risques évidents, notamment sur le plan sanitaire, dans une zone de conflit. » Aussi, ils demandent parquet de Paris de diligenter une enquête préliminaire.

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