Syrie : Les incidents aériens entre la coalition et les forces russes sont de plus en plus fréquents

Lors de son dernier passage devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, en octobre, le chef d’état-major de l’armée de l’Air, le général Lanata, avait indiqué que, l’étau se resserrant sur l’État islamique (EI ou Daesh) en Syrie, les avions de la coalition « évoluaient désormais quotidiennement dans un mouchoir de poche à proximité des Sukhoï russes et des Mig syriens, tout cela au cœur des systèmes de défense sol-air des forces armées russes et syriennes. »

« Il en résulte mécaniquement que les espaces aériens dans lesquels nous opérons sont de plus en plus contestés : moyens de défense sol-air et chasseurs de dernière génération sont au cœur de l’engagement des forces de part et d’autre » et « il s’agit désormais d’une réalité avec laquelle nous allons devoir compter sur nos théâtres d’opérations », avait expliqué le général Lanata. Et d’ajouter : « Plusieurs incidents récents, qui auraient pu avoir des conséquences graves et changer la physionomie de cette crise, l’illustrent. »

Depuis, la situation sur le terrain a évolué et Daesh est maintenant acculé dans la vallée de l’Euphrate. Actuellement, les opérations aériennes de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis consistent à appuyer les Forces démocratiques syriennes (FDS) dans une zone de 40 km2 autour de la ville de Boukamal, près de la frontière irakienne. L’objectif est de chasser les combattants de l’EI qui se trouvent sur la rive est de l’Euphrate.

Pour prévenir tout incident aérien, la coalition et les forces russes engagées en Syrie ont convenu de prendre des mesures dites de « déconfliction », lesquelles consistent à « partager » l’espace aérien syrien (on parle alors de « zone de déconfliction ») et à échanger, via un canal de communication direct, des informations sur les opérations menées.

Depuis qu’elles sont entrées en vigueur, et au regard de l’intensité des activités aériennes en Syrie, ces mesures de « déconfliction » ont permis de limiter le nombre d’incidents entre la coalition et les forces russes. Seulement, la zone des opérations contre l’EI étant de plus en plus réduite, la cohabitation dans l’espace aérien syrien devient de plus en plus difficile.

Selon un accord verbal avec Moscou, les avions de la coalition sont censés intervenir sur la rive est de l’Euphrate tandis que les appareils russes ont le champ libre pour survoler la rive ouest de ce fleuve. Théoriquement, du moins.

Car, dans la pratique, ce n’est pas le cas et les incidents se sont multipliés ces dernières semaines. Selon le lieutenant-colonel Damien Pickart, porte-parole des forces aériennes de l’US CENTCOM, le commandement américain pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale, plusieurs avions russes ont survolé la zone située à l’est de l’Euphrate sans en prévenir préalablement la coalition.

Ainsi, le 15 novembre, deux avions d’attaque A-10 Thunderbolt II américains, alors en mission dans la zone dévolue à la coalition, ont évité de justesse une collision avec un bombardier tactique Su-24 « Fencer ». Le pilote de l’un des appareils de l’US Air « a dû effectuer une manoeuvre défensive pour éviter une collision en plein vol », a expliqué le lieutenant-colonel Pickart.

Deux jours plus tard, un autre Su-24 russe, qui venait de survoler les FDS et des forces de la coalition dans le même secteur, a été intercepté par deux F-22 Raptor, alors qu’il ne répondait pas aux appels radio.

« Les F-22 ont intercepté le pilote et étaient en position d’ouvrir le feu », a raconté le lieutenant-colonel Pickart. « Heureusement, nos pilotes ont fait preuve de retenue mais vu que le comportement de l’équipage du Su-24 aurait très bien pu être interprété comme menaçant à l’encontre des forces américaines, nos pilotes auraient été parfaitement dans leur droit s’ils avaient tiré », a-t-il expliqué.

Un autre incident est survenu le 13 décembre. Deux Su-25 « Frogfoot » russes ont survolé la rive est de l’Euphrate. Là encore, deux F-22 sont intervenus alors que le Centre de commandement des opérations aériennes de la coalition (CAOC pour « Combined air and space operations center) d’al-Udeid (Qatar) tentait de joindre l’état-major russe via la ligne directe.

Les pilotes américains ont dû effectuer « plusieurs manoeuvres » pour convaincre les Su-25 de quitter la zone. L’un des F-22 a été contraint d’effectuer « une manoeuvre difficile » pour éviter une collision avec l’un des avions russes. En outre, un Su-35 aurait aussi été impliqué dans cet incident, qui aura duré près de 40 minutes.

Depuis que l’accord sur le « partage » des opérations de part et d’autre de l’Euphrate a été conclu, « les avions russes ont ont pénétré dans notre espace aérien du côté est du fleuve 6 à 8 fois par jour, ce qui représente environ 10% des vols russes et syriens », a affirmé le lieutenant-colonel Pickart.

« Je n’attends pas la perfection mais je n’attends pas non plus des manoeuvres dangereuses », a commenté le chef du Pentagone, James Mattis, alors qu’il était interrogé au sujet de ces incidents. « Pour le moment, je ne peux pas vous dire s’il s’agit de mauvais pilotes, ou de pilotes turbulents, ou alors de gens qui tentent de faire des choses très peu judicieuses », a-t-il ajouté.

Le souci est que la multiplication de ces incidents fait mécaniquement augmenter le risque de collision, voire plus. Ce qui donnerait lieu à une grave crise diplomatique entre Moscou et Washington. En juin, un avion d’attaque Su-22 « Fitter » syrien, qui venait de larguer une bombe à proximité des FDS, à Tabqa, avait été abattu par un F/A-18 Super Hornet américain, « conformément aux règles d’engagement et de légitime défense » de la coalition.

« Nous ne sommes pas là pour nous battre contre la Russie ou la Syrie. Notre cible reste l’EI », a précisé le lieutenant-colonel Pickart. « Cela dit, si on attaque des forces de la coalition ou de ses alliés locaux, nous les défendrons », a-t-il toutefois prévenu.

Photo : F-22 Raptor (c) US Air Force

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