Les enjeux de la prochaine Loi de programmation militaire : l’armée de Terre

La trajectoire financière de la prochaine Loi de programmation militaire (LPM), en cours d’élaboration, est d’ores et déjà connue. Après une hausse de 1,8 milliard d’euros en 2018, le budget du ministère des Armées augmentera en effet de 1,7 milliard par an jusqu’en 2022, avec une prise en charge de plus en plus importante du surcoût des opérations extérieures.

Certains observateurs estiment que cet effort financier en faveur des Armées est important. Pour autant, l’on peut douter qu’il soit suffisant au regard des attentes et des besoins exprimés par les chefs d’état-major. Et ce n’est pas un édredon qu’il faudra faire entrer dans la valise mais plusieurs…

Ainsi, pour le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre, la prochaine LPM devra porter trois ambitions : la « réparation », la « recapitalisation » et la « modernisation ».

S’il n’ y avait qu’une seule priorité pour l’armée de Terre, les choses seraient plus simples. Mais après des années de sur-engagement, ce n’est à l’évidence pas le cas.

Ainsi, et au-delà des problèmes d’infrastructures et des mesures en faveur du personnel, il s’agira de remédier à des lacunes capacitaires, actuelles ou à venir, d’améliorer la cohérence des forces comme avec l’équipement individuel des soldats, et évidemment, de moderniser ses capacités dans le cadre du programme Scorpion. En outre, le dossier des ressources humaines est loin d’être clos puisque, entre 2019 et 2022, l’armée de Terre aura besoin de 1.150 postes de cadres (officiers et sous-officiers supérieurs) supplémentaires.

En matière d’équipements, l’armée de Terre a au moins cinq priorités. L’une d’entre-elles porte sur le renforcement des capacités dans le domaine de l’artillerie, en portant le nombre de CAESAr (Camions équipés d’un système d’artillerie) de 77 à 109 exemplaires.

Avec le retrait, en 2018, des canons TRF1 et les insuffisances des AUF1, le format de l’artillerie est, dixit le général Bernard Barrera (*), insuffisant pour une « opération majeure », voire « pour équiper les forces prépositionnées et intervenir dans un scénario de gestion de crise. » En outre, la protection des soldats chargés d’assurer le soutien et les appuis sur les théatres extérieurs devra être renforcée.

Autre priorité : les capacités C4ISR [Computerized Command, Control, Communications / ISR pour Intelligence, Surveillance et Reconnaissance, ndlr], qui vont atteindre un niveau critique si rien n’est fait, avec des lacunes en matière de radars de déconfliction 3D, un système RITA arrivant en fin de vie en 2020 et de nouveaux drones tactiques en « quantité limitée, trop faible » (toujours selon le général Barrera), ce qui risque priver l’armée de Terre de « peser en coalition » et d’être en mesure de « s’engager sur plusieurs théâtres simultanément avec les moyens de renseignement adéquats. »

Ainsi, l’armée de Terre souhaite qu’un effort particulier soit fait sur les radars 3D, les outils de communication de théâtre et les équipements de renseignement, avec « un doublement des capacités en matière de segments sol des drones tactiques. »

Un autre domaine sur lequel l’armée de Terre ne veut plus transiger est celui des matériels dits de cohérence. N’ayant que peu de visibilité par rapport aux grands programmes d’armements, ils sont néanmoins nécessaires pour permettre aux soldats de « surclasser l’adversaire ». Il s’agit d’équipements et d’armements individuels, comme les lunettes de vision nocturne, les munitions, protections, etc…

Comme le souligne le député Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis, « l’actualisation de la programmation militaire, en 2015, a prévu des commandes supplémentaires de fusil d’assaut, mais pas de matériels permettant d’assurer la mobilité et la protection d’une force opérationnelle terrestre plus nombreuse. Or les décisions prises le 6 avril 2016 en conseil de défense n’ont comblé ces lacunes que de manière marginale. »

Cela étant, ce sujet n’est pas nouveau : en 2008, le général Bruno Cuche, alors CEMAT, avait écrit au général Jean-Louis Georgelin, CEMA à l’époque, pour dénoncer une « amorce d’une paupérisation globale » le peu de cas accordé à ces « nombreuses petites réalisations à faible visibilité politique », pourtant indispensables à la « cohérence organique » de l’armée de Terre.

Mais la priorité des priorités reste l’accélération du programme Scorpion, c’est à dire le renouvellement des blindés de l’armée de Terre (VAB, AMX-10 RC, etc). Comme ne le cesse de le répéter le général Bosser, cette approche a plusieurs avantages : la protection et l’efficacité au combat des soldats seraient grandement améliorées, des économies seraient possibles sur le Maintien en condition opérationnelle (MCO) des véhicules et elle éviterait une régénération coûteuse des actuels VAB [Véhicules de l’avant blindé] qui ont largement fait leur temps, après 40 ans de service.

En outre, selon le général Barrera, cité par M. Larsonneur, accélérer le programme Scorpion permettrait à la France de positionner « ainsi son industrie en pointe sur le segment médian, qui est cohérent avec la nature des OPEX actuelles et moins coûteux que les modèles à chenille ‒ et donc prometteur à l’export. »

Enfin, dernier enjeu de la prochaine LPM pour l’armée de Terre concerne l’innovation. Outre la robotisation et à d’autres domaines (internet des objets, intelligence artificielle, etc), il s’agit de lancer, sans tarder, des études pour anticiper les besoins futurs, en particulier dans le domaine des chars de combat, avec le « Main Ground Combat System » [principal système de combat terrestre, ndlr], appelé à succéder au Leclerc à partir de 2035. Il est aussi question de se pencher sur le « Common Indirect Fire System » [CIFS, Système commun de feux indirects] susceptible de remplacer à la fois le CAESAr et le Lance-roquettes unitaire (LRU) ou encore sur le système futur sol-air en basse couche (SABC), en prévision du remplacement du missile MISTRAL.

(*) Sous-chef d’état-major de l’armée de Terre chargé des plans et des programmes

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