Des combattants étrangers de l’EI auraient réussi à s’échapper de Raqqa

Depuis quelques jours, le mot d’ordre à Moscou est de dire que la coalition antijihadiste dirigée par les États-Unis « fait semblant » de combattre l’État islamique (EI ou Daesh).

Le 14 novembre, le ministère russe de la Défense est allé plus loin en produisant des « preuves » qu’il a décrites comme étant « la confirmation irréfutable que les États-Unis, tout en simulant pour la communauté internationale une lutte implacable contre le terrorisme, assurent une couverture à des unités de l’État islamique. » Ce qui, au passage, pourrait être pris pour une insulte par les aviateurs et marins français de l’opération Chammal, qui, chaque jour, mènent des missions au-dessus de la Syrie contre, justement, les jihadistes…

Seulement, ces « preuves irréfutables » ne l’étaient pas tant que ça finalement… Et pour cause : selon l’ONG Conflict Intelligence Team (CIT), certaines provenaient du jeu vidéo « AC-130 Gunship Simulator: Special Ops Squadron » tandis que d’autres, montrant des frappes effectuées par l’aviation irakienne avaient été diffusées en 2016 par Bagdad.

« Les communiqués du ministère russe de la Défense sont à peu près aussi exacts que leurs frappes aériennes », a ensuite ironisé le colonel américain Ryan Dillon, le porte-parole de l’opération Inherent Resolve [nom de la coalition anti-jihadiste, ndlr].  » Cet incident est « conforme à ce que nous voyons sortir du ministère russe de la Défense: c’est sans fondement, inexact et complètement faux », a-t-il insisté.

En revanche, des révélations de la BBC sur les conditions de la libération de Raqqa par les Forces démocratiques syriennes (FDS), constituées de milices kurdes et de groupes arabes armés, soutenues par la coalition, soulèvent quelques questions.

Ainsi, dans les derniers jours de la bataille, un conseil civil mis en place par les FDS pour administrer Raqqa négocia un accord avec l’EI pour évacuer plus de 3.000 à 3.500 civils ainsi que des jihadistes encore présents dans la ville. Et la coalition reçut l’assurance que les combattants étrangers de Daesh n’étaient pas concernés par cet arrangement.

En réalité, d’après l’enquête de la BBC, intitulée le « sale secret de Raqqa », la coalition a été bernée. Ainsi, des centaines de combattants étrangers ont pu quitter l’ex-capitale du « califat » avec armes, bagages et enfants, dans un convoi de plusieurs dizaines de véhicules.

La chaîne britannique a interrogé Abou Fawzi, l’un des chauffeurs de ce convoi. « On était terrorisés dès qu’on est entrés dans Raqqa », a-t-il confié. « Nous devions être accompagnés par les FDS mais nous y sommes allés seuls », a-t-il continé. Une fois arrivé au lieu de rassemblement, à l’hôpital central de la ville, « on a vu des combattants de l’EI avec leurs armes et des ceintures explosives. Ils ont piégé nos camions. Si quelque chose devait mal tourner dans l’affaire, ils étaient prêts à faire exploser tout le convoi. Même leurs femmes et leurs enfants portaient des ceintures explosives », a-t-il raconté.

« Il y avait un très grand nombre d’étrangers. Français, Turcs, Azéris, Pakistanais, Yéménites, Saoudiens, Chinois, Tunisiens… », a ensuite énuméré Abou Fawzi, qui avait accepté cette « mission » pour la somme rondelette qui lui était promise. Somme dont il n’a pas vu la couleur, ce qui explique ses confidences à la BBC.

Le convoi en question a été survolé par des avions de la coalition. Arrivé presqu’à destination, un appareil américain « américain a volé très bas en éclairant le ciel la nuit » et les combattants de Daesh « tremblaient dans leurs pantalons », a précisé Abou Fawzi.

Toujours d’après l’enquête de la BBC, certains de ces membres de l’EI auraient réussi à passer en Turquie… « pour y préparer des attentats en Europe. » Aussi, les autorités turques, qui ont toujours été hostiles aux FDS, n’ont pas manqué de réagir.

« La révélation selon laquelle les soi-disant ‘Forces démocratiques syriennes’ ont conclu un accord avec l’organisation terroriste Daesh pour évacuer un grand nombre de ses terroristes de Raqqa est extrêmement grave et édifiante », a commenté le ministère turc des Affaires étrangères, via un communiqué publié dans la soirée du 14 novembre. « Cet accord [entre les FDS et l’EI, ndlr] est un nouvel exemple que combattre une organisation terroriste en s’aidant d’une autre se traduira par une collusion entre ces deux organisations », a-t-il fait valoir.

Du côté de la coalition, le colonel Dillon a fait valoir que, selon les termes de l’accord passé avec les FDS, les « photos et les empreintes digitales de tous les hommes en âge de combattre allaient être vérifiées pour éviter que des jihadistes connus puissent s’échapper. » Mais, a-t-il admis, « je ne peux pas dire avec 100% de certitude que chaque combattant ait été identifié à son départ de Raqqa. » Et d’ajouter : « Que certains de ces combattants aient pu évoluer parmi les civils ou se faire passer pour un affilié local à l’EI, c’est possible. »

En outre, le colonel Dillon a précisé que le convoi avait été surveillé « par les drones de la coalition » dès son départ de Raqqa. « Mais il a été décidé de ne pas le bombarder en raison de la présence de ces 3.000 civils », a-t-il expliqué.

Reste à voir les raisons qui ont poussé les FDS à passer un tel accord avec Daesh… Limiter les pertes humaines en évitant la poursuite des combats? Ou faut-il y voir un lien avec l’abandon à leur profit par l’EI de deux champs pétroliers parmi les plus importants de Syrie?

Quoi qu’il en soit, les FDS devront s’expliquer sur les révélations de la BBC. D’autant plus que la coalition avait affirmé, à plusieurs reprises, qu’il n’était pas question de laisser filer les combattants étrangers de l’EI présents à Raqqa.

« Notre intention est que les combattants étrangers ne survivent pas et éviter ainsi leur retour en Afrique du Nord, en Europe, en Amérique et en Asie », avait expliqué James Mattis, le secrétaire américain à la Défense, en mai dernier.

« Si des jihadistes périssent dans ces combats, je dirais que c’est tant mieux, et s’ils tombent entre les mains des forces syriennes, ils dépendront de la juridiction syrienne », avait lancé Florence Parly, Mme le ministre des Armées, le mois dernier.

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