Une solution « innovante » pour financer partiellement les opérations extérieures

La fin de gestion pour l’année 2017 s’annonce difficile pour le ministère des Armées, avec 700 millions d’euros de crédits encore gelés et 350 autres millions à trouver pour financer les opérations extérieures et intérieures. Et cela risque évidemment de compliquer la « remontée en puissance » que doit permettre la hausse de 1,8 milliards d’euros du budget de la mission « Défense » en 2018.

Cela dit, cette dernière est déjà fragilisée par les « restes à payer » du ministère des Armées, c’est à dire les autorisations d’engagement de crédits non couvertes par des paiements. Aussi, le député François Cornut-Gentille, prévient : « Selon la programmation budgétaire inscrite en loi de finances pour 2017, les crédits de paiement 2018 sont d’ores et déjà ponctionnés de 16,9 milliards d’euros pour payer des engagements passés venant à échéance. »

« Le volume des autorisations d’engagement non couvertes par des crédits de paiement au 31 décembre 2016 s’établissait (déjà) à 50,4 milliards d’euros. […] Jusqu’à quel montant l’État peut-il engager des dépenses sans avoir l’assurence de disposer des crédits correspondants? », demande le député, dans son rapport intitulé « Défense, préparation de l’avenir » [.pdf]. D’autant plus qu’avec un tel niveau de « restes à payer », le ministère des Armées n’a aucune marge de manoeuvre en gestion. « Les restes à payer, massifs et en croissance, rigidifient la dépense sur le long terme et menacent la soutenabilité de la mission Défense », avait d’ailleurs souligné la Cour des comptes.

La prise en charge des surcoûts aux opérations vient compliquer la donne. À chaque fin d’exercice budgétaire, l’on a droit au même psychodrame (même si, ces dernières années, les choses se passaient un peu mieux).

Étant donné que les OPEX [opérations extérieures] et les OPINT [opérations intérieures] coûtent généralement plus que l’enveloppe allouée aux Armées pour les financer, il est fait appel à la solidarité inter-ministérielle. Solidarité à laquelle participe (à hauteur de 20%) le ministère de la Défense (ou des Armées maintenant), ce qui l’oblige à annuler des crédits d’équipements.

La conséquence de ce système « bancal » a été décrite dans un rapport rendu par le sénateur Dominique de Legge. « Plus la France s’engage dans des opérations extérieures, plus elle rogne les moyens matériels et financiers de ses armées. Dans ces conditions il semble difficile de parler de sanctuarisation du budget de la défense », avait-il estimé. On ne saurait mieux dire.

Au moment de l’actualisation de l’actuelle Loi de programmation militaire, M. de Legge avait proposé un amendement pour exclure le ministère des Armées du « financement interministériel du ‘surcoût OPEX’ non budgété ab initio », ce dernier ne devant financer les interventions extérieures (décidées par le président de la République, au nom de la France, faut-il le rappeler) qu’à hauteur de 450 millions d’euros. Si le Sénat avait voté cette disposition, les députés estimèrent qu’elle allait trop loin. Du coup, elle ne passa pas le cap de la commission mixte paritaire.

Cela étant, le député Cornut-Gentille aurait une solution pour atténuer l’impact financier des opérations sur le budget de la mission Défense. Et puisque Mme le ministre des Armées, Florence Parly, demande des « financements innovants », elle serait ainsi servie.

Dans son rapport, le parlementaire souligne que le ministère des Armées doit faire avec deux « contraintes inconciables » : mener des opérations par principe imprévues, ce qui « ne permet pas une prévision budgétaire à l’euro prêt et donc génère des surcoûts dont le financement ne peut qu’intervenir qu’en cours ou au terme de l’exercice budgétaire » et présenter au Parlement « des prévisions sincères de ses besoins en autorisations d’engagement et en crédits de financement. »

« Pour concilier ces deux contraintes, l’augmentation des crédits alloués aux surcoûts OPEX et MISSINT des programmes 178 et 212 est présentée comme la solution optimale. Or, cette dernière ne pourra jamais lever l’incertitude liée à l’imprévisibilité des missions », explique M. Cornut-Gentille, pour qui il est donc « nécessaire d’envisager un nouveau mécanisme, certes plus complexe, intégrant l’augmentation de la budgétisation des crédits de la mission Défense mais faisant également appel à une mission aujourd’hui marginale, la mission Crédits non répartis. »

Cette mission « Crédits non répartis » compte les programme 551 « relative aux rémunérations publiques » et 552 « dépenses accidentelles et imprévisibles. »

Aussi, estime le député, « les opérations extérieures et les missions intérieures étant des dépenses imprévisibles lors de leur engagement et de leur désengagement, l’éventualité d’un recours au programme 552 mérite un examen plus approfondi. »

Et d’insister : « Lorsque le président de la République décide d’une intervention française sur un théâtre extérieur, cette dépense est par principe imprévisible en loi de finances initiale. Il en va de même pour la fin d’une opération. Cet engagement ou ce retrait génèrent des coûts importants imprévus, notamment en faisant appel à des moyens aériens et maritimes exceptionnels pour projeter hommes et matériels ».

Cependant, le recours à ce programme 552 a une limite : outre sa relative compexité, il ne serait possible que pour l’engagement et le retrait des forces, par pour financer les opérations qui, une fois lancées et « inscrites dans la durée », ne sont plus imprévisibles.

Quoi qu’il en soit, même si cette solution est intéressante, elle ne va pas assez loin. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, le financement des opérations extérieures, toujours assumées, fait l’objet d’une ligne budgétaire spécifique, appelée « Réserve spéciale du Trésor » outre-Manche et « Overseas Contingency Operations » outre-Atlantique.

Ce mécanisme présente plusieurs avantages : meilleure visibilité en matière de gestion, risque très limité d’annulation de crédits d’équipement en cours d’année pour financer les opérations, montant de l’enveloppe discuté par les parlementaires, évaluation plus sincère des dépenses, effort partagé par l’ensemble de la Nation, etc… En outre, il permettrait d’avoir un débat annuel sur les interventions en cours. Mais, en France, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

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