Ex-prisonnier des talibans et accusé de désertion, le sergent Bergdahl échappe à la prison

Le cas du sergent Bowe Bergdahl ne manque pas de poser des questions. Élevé à « la dure » au sein d’une famille calviniste aux tendances survivalistes (il savait monter à cheval et tirer au .22 long rifle à 5 ans), ayant pratiqué l’escrime et la danse durant sa jeunesse, ce sous-officier aurait envisagé de s’engager dans la Légion étrangère française avant de rejoindre l’US Army.

En 2014, le magazine Rolling Stones l’avait décrit comme étant un grand lecteur épris d’aventure. Et d’ajouter que, pendant son instruction à Fort Benning, il passait pour une recrue à la fois zélée et solitaire. En outre, il avait soigneusement préparé sa mission en Afghanistan, passant son temps libre à lire et à étudier les cartes de sa future zone de déploiement, ce qui dénotait par rapport à ses camarades.

Au sujet de ces derniers, Rolling Stones avait eu la dent dure. « La durée de la guerre [en Afghanistan et en Irak, ndlr] a contraint le Pentagone à envoyer de plus en plus de recrues qui n’étaient pas préparées et indisciplinées, comme dans l’unité de Bowe. Pour atteindre ses objectifs de recrutement, l’armée avait réduit ses normes d’aptitudes intellectuelles et donné plus de dérogations pour permettre l’engagement de candidats ayant un passé criminel ou des problèmes avec la drogue. »

« Ce que Bergdahl manquait d’aptitude sociale, il le remplaçait par une lecture immersive. Après les leçons rigoureuses données par ses parents [il n’a pas connu l’école publique, ndlr] dans l’éthique chrétienne. Il s’est perdu dans la philosophie asiatique antique et les codes de guerrier du Japon féodal », a expliqué, à son sujet, Newsweek. « Je ne savais pas grand-chose sur le code du guerrier Bushido jusqu’à ce que j’apprenne que le sergent Bergdahl était intéressé », a confirmé le général Dahl, chargé de le « débriefer » après sa captivité. « Ce code prescrit une vie d’étude, d’honneur et d’austérité. Pour l’idéaliste introverti, ce n’était pas une mode passagère, a-t-il ajouté.

Cela explique-t-il la suite? Un soir de juin 2009, l’idéaliste Bowe Bergdahl quitte sa base, sans armes, pour une raison connue de lui seule (même s’il a été rapporté qu’il voulait rendre compte d’incidents à ses supérieurs). Seulement, il est capturé par des membres du réseau Haqqani, l’une des branches les plus redoutables du mouvement taleb afghan.

Pendant cinq ans, le sergent Bergdahl va connaître des conditions de détention extrêmement difficiles, subissant des coups, des pressions psychologiques, des périodes d’isolement en étant enfermé dans une cage. Puis, en 2014, en échange de 5 prisonniers taliban, il est libéré alors qu’il se trouvant dans un état « jamais vu pour un prisonnier de guerre depuis le Vietnam. »

« Nous l’avons ramené à la maison. Nous avons respecté notre principe de ne jamais abandonner un camarade », fait alors valoir un porte-parole du Pentagone.

Pendant toute la durée de sa captivité, le sergent Bergdahl a été promu à deux reprises. Ce qui paraît curieux quand on connaît la suite… Car pour certains de ses anciens camarades, il n’est qu’un déserteur qui a fait prendre des risques à ceux partis à se rercherche. Deux d’entre eux seront d’ailleurs gravement blessés.

Aussi, les critiques sur les conditions de sa libération et son attitude n’ont pas manqué, de même que les rumeurs sur son compte. Alors candidat à la Maison Blanche, Donald Trump l’avait traité de « sale traître pourri » qui méritait la mort. Reste que le sous-officier a bien été obligé de s’expliquer sur sa conduite devant une cour martiale.

À l’issue d’une enquête, Bowe Bergdahl est accusé de désertion. Il accepte alors de seulement plaider coupable pour avoir mis en danger la vie de ses camarades. Mais aucun accord sur la peine qu’il risquait n’a été passé avec l’accusation.

Mais son procès a été l’occasion de mettre en avant des faits intéressants. Ainsi, des spécialistes du renseignement américain venus témoigner ont fait tout leur possible pour défendre le sous-officier. Ainsi, une analyste, Amber Dach, a affirmé que Bowe Bergdahl avait été une « mine d’or qui a vraiment transformé la façon dont nous avons collecter le renseignement dans la région. » Et d’ajouter : « Il était très motivé pour donner tous les détails dont il se souvenait » lors des séances de débriefing.

Le chef de la « Joint Personnel Recovery Agency », Terrence Russell, a également témoigné en faveur de Bergdahl, soulignant que la valeur des informations que ce dernier lui avait founi était « inestimable ». Elles ont d’ailleurs servi de base à plusieurs rapports sur les tactiques des taliban – et ceux du réseau Haqqani – qui sont encore utilisés par l’US Army aujourd’hui. Mieux même : il a dit avoir besoin du sous-officier tout de suite. « Nous n’avons pas beaucoup d’exemples [de prisonniers] en provenance d’Afghanistan », a-t-il justifié. Et une reproduction de la cage dans laquelle le sergent a été enfermé sert aux stages d’aguerrissement.

Par ailleurs, un psychiatre a expliqué que la décision de Bergdahl de quitter son poste avait été influencée par un « trouble de la personnalité schizotypique », qui affecte la compréhension des conséquences de actes que l’on commet, ainsi que par un « stress post-traumatique causé en partie par une enfance difficile. »

Quoi qu’il en soit, à l’issue des audiences, les procureurs militaires a requis 14 ans de prison à l’encontre du sergent Bergdahl. L’un de ses avocats avait souligné qu’il ne serait pas « juste » d’avoir sauvé le sous-officier des taliban pour maintenant « le placer dans une cellule. » Cet argument a-t-il fait mouche?

Peut-être. En effet, le juge militaire de Fort Bragg (Caroline du Nord) n’est pas allé dans le sens des procureurs. Il a seulement décidé de renvoyer le sergent Bergdah de l’US Army pour « manquement à l’honneur » et de le condamner à 10.000 dollars d’amende. Concrètement, cela veut dire qu’il ne pourra pas prétendre aux droits accordés aux vétérans.

« La sentence contre le sergent Bergdahl fait honte à notre pays et à son armée », a immédiatement réagi le président Trump…

A priori, la défense de Bowe Bergdahl envisage de faire appel de la mention relative au « manquement à l’honneur ». Son avocat civil, Eugene Fidell, a en effet déclaré qu’il entend demander la médaille de prisonnier de guerre pour son client. « Nous avons longtemps pensé qu’il y avait droit », a-t-il dit au quotidien USA Today. Cette distinction est attribuée pour les soldats « faits prisonniers et retenus captifs alors qu’ils étaient engagés dans une action contre un ennemi des États-Unis. »

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