Le futur drone MALE européen va-t-il correspondre aux besoins des forces françaises?

Les Européens ont toujours eu du mal à s’entendre pour développer, en commun, un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance). Ces derniers années, plusieurs initiatives furent lancées, comme le Talarion et le Telemos (coopération franco-britannique). Toutes ont échoué, à l’exception, peut-être, de l’HammerHead, un appareil qui, développé par Piaggio sur la base de l’avion P-180 Avanti II, n’a pour l’instant été commandé que par l’Italie.

En juin 2013, et alors que plusieurs forces aériennes européennes venaient d’acquérir le MQ-9 Reaper de l’américain General Atomics, Airbus, Dassault Aviation et Leonardo (ex-Finmeccanica) firent part de leur intention de développer conjointement le MALE RPAS, un drone européen de nouvelle génération.

Deux ans plus tard, une lettre d’intention fut signée à cette fin par l’Allemagne, la France et l’Italie (puis, plus tard, par l’Espagne) et un arrangement-cadre entra en vigueur en juin 2016. Le contrat d’étude de définition de ce MALE RPAS, d’un montant de 60 millions d’euros, fut ensuite notifié en septembre de cette année-là.

Dans le détail, placée sous la conduite de l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement) et soutenue par l’Agence européenne de défense (AED) pour ce qui concerne la navigabilité, la certification et l’intégration dans l’espace aérien, cette étude est financée à hauteur de 31% par l’Allemagne, le reste se répartissant en parts égales (23%) entre la France, l’Italie et l’Espagne.

Aussi, Berlin a le meilleur jeu pour imposer ses vues dans ce programme. C’est ainsi que, comme l’a demandé l’Allemagne, le MALE RPAS sera un appareil doté de deux turbopropulseurs, ce qui le rendra inévitablement plus coûteux (à l’achat comme à l’entretien).

« Le pari consiste donc à parvenir à la satisfaction d’un besoin militaire partagé, à un coût susceptible de créer un marché », avaient prévenu, en mai, les auteurs d’un rapport du Sénat relatif aux drones.

Parmi ces derniers, le sénateur Cédric Perrin a naturellement interrogé Joël Barre, le Délégué général pour l’armement (DGA) sur ce drone européen, à l’occasion d’une audition menée par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées.

« Les discussions avec nos partenaires allemands sont complexes. Ils n’ont pas les mêmes besoins que nous : eux entendent surveiller leur territoire, tandis que nous sommes engagés à l’extérieur… La DGA croit-elle toujours à ce programme? Peut-on, pour notre part, continuer d’y croire? », a ainsi demandé le sénateur, estimant qu’il s’agit d’un « enjeu de souveraineté. »

Le DGA n’a pas répondu exactement à ces deux questions. Évidemment, il a dit croire à l’intérêt du drone MALE en tant que tel (ce que personne ne remet en cause). Mais la priorité est, selon lui, de ne plus dépendre des États-Unis dans ce domaine. « Nous devons atteindre un minimum d’autonomie », a-t-il dit.

« Les discussions sont en cours avec les industriels et notre partenaire allemand. Lors du Conseil franco-allemand de défense et sécurité (CFADS) du 13 juillet, l’Allemagne et la France sont convenus de continuer l’étude en cours sur la base d’une architecture bimoteur turbopropulseur. J’espère que le programme pourra être soutenu par la partie capacitaire du fonds européen de défense. Mais toute coopération, par nature, est difficile à conduire », a ajouté M. Barre.

Le président de la commission, Christian Cambon, a alors fait remarquer qu’un « drone MALE surspécifié et donc trop cher aura moins d’acquéreurs potentiels » tandis que M. Perrin est revenu à la charge en affirmant que le programme « n’a pas d’intérêt » si « c’est pour refaire un drone Reaper ».

« La dépendance à l’égard des Américains est le premier problème que nous pose l’achat du Reaper. Nous manquons d’une charge utile ROEM […]. Nous doter de nos propres drones nous conférera une autonomie stratégique. C’est d’ailleurs l’une des conclusions de la revue stratégique », a alors insisté le DGA, qui a toutefois admis qu’il « faudra en effet maintenir l’attractivité de ce matériel » car « plus il sera cher, moins il sera exportable. »

Exporter le MALE RPAS? Cela s’annonce compliqué… Ainsi, General Atomics développe actuellement un nouveau drone MALE (le Sky Guardian), dont les performances seront nettement supérieures aux MQ-9 Reaper Block 5 (endurance de plus de 40 heures, notamment) et qui sera doté de capteurs de dernière génération. En outre, il sera construit avec un matériau composite léger et amélioré, capable de résister aux climats secs et humides. Déjà, le Royaume-Uni va en acquérir 16 exemplaires, dans le cadre de son programme « Protector ».

En outre, le MALE RPAS européen devra aussi se frotter à la concurrence chinoise. Les drones MALE produits par la Chine sont quatre fois moins chers que ceux construits aux États-Unis, lesquels font en plus l’objet de restrictions à l’exportation. Sur ce dernier point, on imagine mal l’Allemagne ne pas vouloir en faire autant…

Photo : Le drone MALE « Talarion », abandonné par Airbus

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