La défaite de l’EI à Raqqa ne met pas encore fin à l’engagement militaire français en Syrie

Défaire l’État islamique (EI ou Daesh) à Raqqa était, avec Mossoul, l’un des objectifs prioritaires de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis. Se pose maintenant la question de son engagement en Syrie, où les tensions demeurent vives, avec les intentions de la Turquie, les ambitions kurdes et les implications russes et iraniennes.

« La guerre est en phase d’être gagnée, il ne faut surtout pas perdre la paix », a commenté Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, le 20 octobre. « L’après Daesh a commencé » et « il faut identifier maintenant le forum de préparation de la transition politique et de la solution politique d’une Syrie que nous voulons unifier et non pas disloquer », a-t-il ajouté.

Pour autant, il faut encore s’attendre à des complications dans la région, comme l’a souligné le député européen (LR) Arnaud Danjean, qui a dirigé les travaux du comité de la Revue stratégique. « La phase de lutte contre l’État islamique arrive à son terme. Pour autant, l’insurrection sunnite continuera », a-t-il prévenu, lors d’une audition au Sénat.

« La question devient de savoir comment interagiront les puissances régionales, qui sont en train de ‘se partager’ la Syrie, même si le régime consolide son emprise sur la majorité du territoire – quoiqu’au prix d’une forte dépendance envers ses alliés russe, iranien ou du Hezbollah. Bref, cette recomposition promet d’être un processus de long terme, avec peut-être des accalmies passagères mais avec un maintien durable de tensions intercommunautaires et entre puissances régionales voisines », a expliqué M. Danjean.

Dans ces conditions, quel rôle aura à tenir la France, qui, au travers de la coalition, est engagée militairement en Syrie [opération Chammal, ndlr]? Pour rappel, l’aviation française a pris part à la bataille de Raqqa, de même que les forces spéciales, déployées auprès des milices kurdes syriennes (et des Forces démocratiques syriennes, FDS).

Le président Macron a en partie répondu. « Le combat contre Daech ne s’achève pas avec la chute de Raqqa, et la France maintiendra son effort militaire tant que cela sera nécessaire », a-t-il fait savoir, le 20 octobre. « Les défis de la stabilisation et de la reconstruction ne seront pas moindres que ceux de la campagne militaire », a-t-il ajouté, avant d’estimer que la « Syrie doit enfin trouver la voie d’une sortie de la guerre civile, qui a nourri le terrorisme depuis la répression du mouvement démocratique par le régime de Bachar el-Assad » et qu’une « transition politique négociée est plus que jamais nécessaire. »

Dans un communiqué publié le même jour, Mme le ministre des Armées, Florence Parly, a tenu à rendre hommage aux combattants des FDS qui « ont donné leur vie dans cette lutte contre la barbarie » ainsi qu’au « professionnalisme, à la détermination et à l’efficacité des soldats français de l’opération Chammal qui, au sein de la coalition, ont contribué à cette victoire, par les frappes aériennes qu’ils ont effectuées. »

Pour autant, a continué Mme Parly, le combat contre Daesh continue. « Il se poursuivra tant que l’organisation ne sera pas totalement militairement vaincue, en Syrie comme en Irak. Les forces armées françaises resteront totalement impliquées dans cette lutte tant qu’elle ne sera pas terminée », a-t-elle assuré.

Lors d’un discours prononcé devant le Center for Strategic and International Studies [CSIS] de Washington, Mme Parly a fait valoir que la Syrie constitue « de loin l’une des questions internationales les plus insolubles aujourd’hui. » D’abord, Daesh garde encore des territoires dans la vallée de l’Euphrate, ce qui exige la poursuite des efforts militaires. D’ailleurs, c’est à cette fin que les artilleurs français de la Task Force Wagram sont en cours de redéploiement avec leur 4 CAESAR (Camions équipés d’un système d’artillerie)  » dans le but d’accompagner les FSI [Forces de sécurité irakiennes, ndlr] dans leurs prochains engagements. » Mais ce n’est pas tout.

« En Syrie, nous aurons encore des problèmes critiques à résoudre avant d’envisager un redéploiement. Nous devons nous assurer de ne pas laisser trop de désordre derrière. Cela signifie éviter au moins quatre choses : une guerre avec les Kurdes, une guerre impliquant Israël, et bientôt aussi le Liban, un usage impuni des armes chimiques et une gouvernance qui continuera d’alimenter le terreur, qu’elle provienne de groupes sunnites ou chiites », a détaillé Mme Parly.

Sur ces sujets, certains observateurs américains estiment que Washington n’a pas de stratégie. « Il y a les Iraniens, Assad, les Russes : les Etats-Unis sont un peu confus et leur problème, c’est leur combat contre l’Etat islamique », a expliqué l’ancien diplomate Jim Jeffrey, actuellement membre du Washington Institute for Near East Policy. « L’Iran et ses amis ont un plan, pas les Etats-Unis », a-t-il déploré.

Dans l’immédiat, M. Le Drian a annoncé que la France va « mobiliser immédiatement 10 millions d’euros pour assurer le déminage, plus l’aide humanitaire immédiate aux populations qui restent à Raqqa. »

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