La remontée en puissance de l’armée de Terre atteint des « seuils critiques »

Après la publication du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale (LBDSN), une priorité était affirmée pour les ressources humaines des Armées : il fallait réduire le taux d’encadrement (ce que l’on appelait, à l’époque, le « dépyramidage »).

Le général Bertrand Ract-Madoux, alors chef d’état-major de l’armée de Terre, avait trouvé cela « déraisonnable », avant de faire valoir que le taux d’encadrement des forces terrestres était déjà réduit à 8% (12% pour l’ensemble de l’armée de Terre) alors qu’il était d’environ 14% pour l’US Army et la British Army.

Résultat : alors que l’armée de Terre doit remonter en puissance, en faisant passer les effectifs de sa force opérationnelle terrestre (FOT) de 66.000 à 77.000 soldats, il lui manque des cadres.

« La remontée en puissance nous a également confrontés à des seuils critiques en matière de compétences. Nous avons des effectifs suffisants en nombre mais du fait du temps de latence de la formation, nous avons un fort déficit sur les hauts de pyramide », a ainsi expliqué le général Jean-Pierre Bosser, l’actuel CEMAT, lors de son passage devant les députés de la commission de la Défense.

« Pour former un chef de groupe, un chef de section ou un commandant d’unité, il faut du temps. Huit ans sont nécessaires, par exemple, pour rendre opérationnel un chef de section d’infanterie à la tête d’une section de VBCI », a-t-il souligné.

Du coup, il manque à l’armée de Terre « en volume environ 1.000 officiers et, en qualité, environ 3.000 sous-officiers supérieurs. » « La remontée en puissance prend du temps, et nécessite un schéma d’anticipation dans le domaine des ressources humaines », a fait valoir le général Bosser. « Rien ne sert d’avoir de nouveaux chars, si nous n’avons pas de militaires pour les piloter et les diriger », a-t-il insisté.

Par ailleurs, la hausse importante des effectifs de la FOT a demandé le recrutement de 46.000 nouveaux soldats en trois ans. C’est un « effort sans précédent dans l’histoire récente que seule la France a été capable de fournir en Europe », a souligné le CEMAT. En 2018, l’armée de Terre compte trouver un peu plus de 13.000 recrues. Et, apparemment, ça commence à « coincer » un peu.

« Les recruteurs ont pu constater l’apparition d’un niveau seuil, au-delà duquel la qualité des dossiers [des candidats à un engagement, ndlr] s’érode. Pendant 20 ans, l’armée de Terre n’était jamais descendue en dessous du ratio d’un dossier utile sur deux. Aujourd’hui, le ratio se situe à un dossier utile sur 1,8. Cela met en exergue la question de l’attractivité du métier des armes et de nos parcours professionnels », a expliquer le CEMAT.

Cela étant la hausse des effectifs a eu d’autres conséquences. S’agissant de la formation, il y en permanence 5.000 recrues à l’instruction. C’est « énorme pour une armée engagée comme la nôtre », a relevé le CEMAT. « Aujourd’hui, si nous devions poursuivre la croissance de nos effectifs, je considère que notre capacité maximum de remontée en puissance se situe aux alentours de 1 000 personnels supplémentaires par an », a-t-il prévenu.

Quant aux infrastructures pour accueillir ce flux important de recrues, leur situation demeure « globalement préoccupant ». « Si, il y a 20 ans, les soldats étaient mieux logés au régiment qu’à la maison. Aujourd’hui, ils sont souvent moins bien logés au régiment qu’à la maison. Or, j’estime que les conditions de vie constituent un facteur clef pour fidéliser les militaires », a fait valoir le général Bosser.

Autre point non négligeable : l’insuffisance, en volume, des équipements, ces derniers ayant été « taillés » pour un effectif de 66.000 soldats et non de 77.000. « Nous vivons une fragilité capacitaire, car certains de nos équipements, conçus dans les années soixante-dix et employés sans interruption en opérations depuis 25 ans, sont usés », a glissé le CEMAT dans l’oreille des députés.

Enfin, domaine tout aussi essentiel que les autres : le soutien. Là encore, il a fallu faire face à de nombreuses difficultés. « Le service du commissariat des armées (SCA) est également très sollicité et doit répondre à de multiples défis – exemple parmi d’autres : trouver pour les militaires des chaussures correspondant à leur pointure, détail qui a son importance », a cité le général Bosser.

Cela vaut aussi pour le Service de santé des armées (SSA), qui a été « en difficulté pour délivrer des certificats d’aptitude médicale et assurer le flux accru de visites médicales périodiques », comme pour la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), qui a dû mettre le bleu de chauffe pour effectuer « les contrôles élémentaires de sécurité dans des délais compatibles avec les besoins d’engagement. »

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