La directive européenne sur le temps de travail pose un sérieux problème au ministère des Armées

Un repos journalier d’au moins 11 heures consécutives par période 24 heures, une pause hebdomadaire de 24 heures pour de chaque période de 7 jours, un temps de travail de nuit ne devant pas dépasser huit heures en moyenne par jour, une durée de travail ne devant pas excéder les 48 heures par semaines (heures supplémentaires comprises), etc… Voici ce que prévoit, dans les grandes lignes, la directive européenne 2003/88/CE relative au temps de travail.

Normalement, militaires et policiers ne devaient pas être concernées par ce texte, comme les forces armées et la police. Mais la Cour de justice de l’Union européenne en décida autrement, sa jurisprudence soulignant que « les dérogations ne sont pas applicables à des corps ou à des secteurs dans leur globalité, comme les forces armées ou la police, mais seulement à certaines des missions qu’ils assument. »

Et cela complique tout. Comme l’avait relevé le Haut Comité d’Évaluation de la Condition Militaire (HCECM) dans son rapport publié en 2015, l’application indifférenciée de cette directive « relativiserait pour l’amoindrir la portée du principe de disponibilité », avec en prime des dépenses supplémentaires étant donné que la « la fixation de périodes minimales de repos à l’occasion d’activités ordinaires entraînerait inévitablement, à charge de travail constante, des besoins supplémentaires en personnels et donc un accroissement de la dépense. »

En outre, sur un plan pratique, cette directive ne sera pas sans conséquence sur la formation initiale des recrues, la préparation opérationnelle ou encore sur l’organisation des stages d’aguerrissement. Bref, des situations où il n’est pas question de faire une pause de 11 heures consécutives…

La Gendarmerie nationale a été contrainte d’appliquer cette directive en 2016. Résultat : sa capacité opérationnelle s’est dégradée, comme l’avait expliqué le général Richard Lizurey, son directeur général (DGGN). « Quand on assure une garde à vue de 96 heures, on a quinze jours de repos ensuite! Ce n’est pas ainsi que nous fonctionnons aujourd’hui », s’était-il emporté, lors d’une audition à l’Assemblée nationale.

Quantitativement, l’application de ce texte a eu pour conséquence une baisse de 3 à 5% du temps de service, ce qui représente, pour la Gendarmerie, « 3.000 à 5.000 équivalents temps pleins » (postes) sur un effectif de 100.000 militaires. « Cette directive est un peu à contre-courant au moment où nous devons tous nous mobiliser contre le terrorisme », avait souligné le général Lizurey.

Seulement, le ministère des Armées ne pourra pas échapper l’application de cette directive relative au temps de travail, ce qui préoccupent sa Direction des affaires juridiques et sa Direction des ressources humaines, qui ont pu avoir une idée de ses conséquences sur les unités de la Brigade Franco-Allemande (BFA), la Bundeswehr ayant transposé ce texte en 2016.

L’une des pistes suivies consiste à faire une lecture « exhaustive et critique que possible » de ce texte afin d’en « définir les exonérations d’applications », a expliqué Jean-Paul Bodin, le Secrétaire général pour l’administration (SGA), lors de son passage devant les députés de la commission de la Défense.

S’il n’y a pas de problème pour sortir les activités opérationnelles du champ d’application de la directive, il en va autrement pour tout ce qui touche à la formation et à l’entraînement. C’est, en tout cas, « plus ambigu », a reconnu le SGA. Et l’on pourrait aussi citer tout ce qui a trait au soutien, à la logistique ou bien encore au maintien en condition opérationnelle (MCO).

En outre, ce texte européen pose une question de principe, relative au statut des militaires.

La directive en question « pousse à compter le temps de travail des militaires, alors que l’institution a en tête qu’on ne le fait pas, le militaire étant disponible en tout temps et tout lieu. C’est un élément central du statut auquel d’autres aspects sont attachés, notamment en matière de rémunération, indiciaire et indemnitaire », a en effet souligné M. Bodin. Et « si l’on commence à détricoter un élément essentiel du statut, il faut regarder avec attention jusqu’où l’on va », a-t-il prévenu.

Une solution pour se sortir de cette situation passerait par une initiative du gouvernement auprès de la Commission européenne. Ce qui toutefois délicat… la directive 2003/88/CE ayant été adoptée à l’initiative de la France. « Il est donc un peu compliqué, quelques années plus tard, d’aller dire que nous n’en voulons pas. Et je ne suis pas certain que le ministère des Armées puisse tenir une position indépendante du champ interministériel », a estimé M. Bodin, alors qu’il était interrogé sur ce dossier par les sénateurs, la semaine passée.

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