Soudain, un « Bang » se fit entendre dans le ciel de Californie

Dans le monde de l’aviation, il restera à tout jamais une légende. Né le 13 février 1923 à Myra [Virginie occidentale], dans un milieu modeste, Charles Elwood Yeager, dit « Chuck », est un adolescent sportif qui s’intéresse surtout aux mathématiques et à la mécanique. Puis, ses études au lycée terminées, et alors qu’il n’a que 18 ans, il décide de rejoindre l’US Army Air Corps en tant que mécanicien d’aéronautique.

En novembre 1941, les États-Unis manquant de pilotes, le « Flying Sergeant Program » vient d’être mis sur les rails, avec pour cible les jeunes de 18 ans en bonne condition physique et titulaires de l’équivalent américain du Baccalauréat. Et le jeune « Chuck » coche toutes les cases. Et, cerise sur le gâteau, suivre cette formation le dispensera du « KP Duty », c’est à dire de toutes les corvées imposées aux recrues (ce qui aura « pesé » dans sa décision…).

Lors de sa formation, commencée en juillet 1942, Chuck Yeager montre des capacités hors du commun. Et c’est ainsi que, un peu plus d’un an plus tard, il est envoyé en Grande-Bretagne, avec les galons d’adjudant. Il ne tarde pas à s’illustrer : le 4 mars 1944, aux commandes de son P-51 Mustang, baptisé Glamourous Glen (en réfence au nom de sa fiancée qui deviendra son épouse), il obtient sa première victoire aérienne en abattant un Messerschmitt Bf 109. Douze autres seront ajoutées à sa palmarès par la suite.

Seulement, le lendemain, lors de sa 8e mission, il est à son tour abattu par un Focke Wulf 190 piloté par Irmfried Klotz. Ayant réussi à sauter de son appareil, « Chuck » est recueilli par un maquis de résistants, avec qui il fera le coup de feu avant d’être exfiltré de France par l’Espagne.

Selon les règles de l’époque, un pilote abattu aidé par un groupe de résistants ne pouvait pas reprendre le combat sur le même théâtre d’opérations. Tout simplement parce qu’en cas de capture, il aurait été susceptible de donner des renseignements à l’ennemi. Mais comme les Alliées venaient de débarquer en France et que les maquisards combattaient ouvertement les troupes allemandes, le jeune officier a obtient alors que cette restriction ne lui soit pas appliquée.

En octobre 1944, « Chuck » obtient deux victoires sans avoir eu à tirer un coup de feu : en position de tir derrière un Bf-109, le pilote de ce dernier panique et percute son ailier. Et il sera crédité de 5 victoires au cours d’une seule mission.

Cela étant, à cette époque, de nouveaux avions commencent à pointer le bout de leur nez. Alors que pour des appareils à hélices, le Hawker Tempest et le P-38 Lightning affichent des performances impressionnantes (avec, par exemple, une vitesse de 700 km/h), les Messerschmitt Me 163 Komet (seul avion-fusée de chasse opérationnel de l’histoire) et Me 262 Schwalbe vont encore plus vite, pouvant atteindre des vitesses maximales de 950 km/h (Mach 0,78) et de 878 km/h (Mach 0,71).

Le développement de ces avions à réaction allemands avait commencé dès 1941. Mis au courant par ses services de renseignement, le Royaume-Uni mit en place un « Supersonic Committee » en mai 1943 pour en faire de même, étant entendu que ces appareils allaient préfigurer l’avenir.

Mais, en attendant, les Me 163 et Me 262 ne permettront pas à l’Allemagne nazie de renverser le cours de la guerre. Et « Chuck » Yeager en inscrira même un à son tableau de chasse.

Reste que, la guerre terminée, l’objectif des Britanniques et des Américains est de mettre au point un avion de réaction aux performances inédites. Ce qui suppose de franchir le mur du son (soit Mach 1 (soit 340 mètres par seconde ou 1.224 km/h). Toutefois, aux États-Unis, la réflexion avait été engagée dès mars 1944, avec une réunion organisée au Pentagone entre l’US Army Air Corps, l’US Navy et National Advisory Committee for Aeronautics (NACA, l’ancêtre de la NASA).

Ne pouvant se mettre d’accord sur le modèle d’appareil à mettre au point, deux programmes seront lancés : celui du Douglas D558 pour l’US Navy, celui du MX-524 pour l’US Army Air Corps, qui donnera le Bell X-1.

Pendant que les ingénieurs s’interrogent sur le vol supersonique (qui ne concerne pas uniquement la propulsion mais aussi les matériaux et toute une série d’autres domaines), le capitaine Yeager devient instructeur puis pilote d’essais à Wright Field, dans l’Ohio, c’est à dire là où un certain Ezra Kotcher vient de signer un contrat avec Bell Aircraft pour développer le moteur-fusée qui équipera le futur X-1.

Trois exemplaires de cet appareil expérimental seront commandés, dans le cadre d’un contrat conclu en mars 1945. Fuselé comme une balle de Colt 45, long de 9,45 mètres, le Bell X-1 est conçu pour résister à un facteur de charge de 18 G.

Doté d’un moteur fusée à ergols liquides XLR-11-RM-3, fonctionnant avec un mélange d’éthanol et d’oxygène liquide pour développer une poussée maximale de 27 kN, le X-1 affiche une autonomie de seulement 2 minutes 30. Aussi, ne pouvant pas décoller par ses propres moyens, il est décidé de le larguer par un bombardier B-29A Superfortress, appelé « Mother Ship ».

Les essais du Bell X-1 peuvent commencer le 19 janvier 1946, avec aux commandes le pilote Jack Woolams, de Bell Aircraft. D’abord près d’Orlando, en Floride, puis à Muroc Air Field, en Californie (qui deviendra la base d’Edwards). Mais il faut attendre la fin de cette année là pour voir le premier vol de cet appareil avec le moteur fusée en action. Jusqu’à présent, cet avion n’avait effectué que des vols planés.

Entre temps, Jack Woolams se tue aux commandes d’un Bell P-39 Airacobra… Et il est remplacé par Chalmers « Slick » Goodlin, le pilote d’essai en chef de l’industriel. Seulement, suite à un différend opposant Bell et l’US Army Air Corps (qui deviendra l’US Air Force), les essais du X-1 seront assurés par des pilotes militaires. Et le capitaine Yeager est désigné à cette fin.

Ce dernier effectue ainsi plusieurs vols à bord du X-1, sans pour autant passer le cap de Mach 1. Ce sera l’objectif fixé à un vol devant avoir lieu en octobre 1947.

Mais, le 13 octobre, Chuck Yeager se casse deux côtes lors d’une randonnée à cheval avec son épouse. Mais il en faut plus pour décourager le pilote, alors que le cockpit du X-1 est très inconfortable et qu’il faut jouer les contorsionnistes pour grimper à bord.

Quoi qu’il en soit, le 14 octobre 1947, le B-29 « Mother Ship » prend les airs, emportant le capitaine Yeager et le Bell X-1 sous son fuselage. N’ayant rien dit sur sa blessure, le pilote d’essai a dissimulé un banche à balai dans son bouson en cuir pour pouvoir fermer la baie vitrée du cockpit de la « balle volante ».

Le Bell X-1 délivré du B-29, le capitaine Yeager allume deux chambres de combustion pour monter à 40.000 pieds, puis il en actionne deux autres. L’appareil vibre en même temps qu’il accélère…

Puis, à 10h18, un « bang » se fait entendre dans le ciel californien. Pour la première fois, un homme vient de franchir le mur du son.

En effet, les ondes sonores émises par le Bell X-1 s’étant comprimées vers l’avant, elles ont été brusquement expulsées vers l’arrière quand l’appareil a atteint Mach 1.

Après cet exploit, le capitaine Yeager continuera sa carrière de pilote d’essais. Il sera même l’un des premiers américains à voler sur MiG-15, grâce à la défection d’un pilote nord-coréen. En 1955, il est affecté en Europe pour le commandement du 417th Fighter-Bomber Squadron, d’abord basé en Allemagne, puis en France (à Toul-Rosières).

En 1963, Chuck Yeager échappe (une fois de plus) à la mort lors d’un vol à bord d’un prototype du F-104A de Lockheed-Martin. Ayant perdu le contrôle de son appareil alors qu’il évoluait à plus de 108.000 pieds, il parvient à s’éjecter après une chute de 100.000 pieds. Il en sera gravement brûlé. Cet accident (comme d’ailleurs le passage du mur du son) sera l’une des scènes cultes du film « L’Étoffe des héros » (avec Sam Sheppard dans son rôle).

Trois ans plus tard, Chuck Yeager prend le commandement du 405th Fighter Wing, basé aux Philippines. À ce titre, il effectue 127 missions de guerre au-dessus du Vietnam. Nommé général en août 1969, il quitte l’US Air Force le 1er mars 1975. Pour le cinquantième anniversaire de son exploit avec le Bell X-1, il repassera le mur du son avec un F-15 Eagle. Âgé de 94 ans, cette légende de l’aviation est restée jeune : « Chuck » est très actif sur les réseaux sociaux.

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