La Turquie et l’Iran envisagent une opération militaire conjointe contre les rebelles kurdes basés en Irak

Entre les retournements d’alliances, les coopérations de circonstances, les arrière-pensées des uns et les ambitions des autres, il devient compliqué de s’y retrouver au Moyen-Orient. Prenons le cas de l’Iran et de la Turquie.

En février, la victoire sur l’État islamique (EI ou Daesh) remportée par les rebelles syriens soutenus par Ankara à al-Bab, dans le nord de la Syrie, ne fut pas vue d’un bon oeil à Téhéran, soutien du régime de Bachar el-Assad. Et les propos peu amènes tenus à l’endroit de l’Iran par plusieurs dirigeants turcs ne firent qu’accroître le malaise.

« Certains sont à l’œuvre pour diviser l’Irak. Le sectarisme et les luttes ethniques qui s’y déroulent sont à mettre sur le compte du nationalisme persan », lança le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’un déplacement à Bahreïn. Quelques jours plus tard, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu, remit une pièce dans la machine en accusant l’Iran de vouloir faire de la Syrie et de l’Irak des « territoires chiites ». Ce qui valut à l’ambassadeur turc en poste à Téhéran d’être convoqué par les autorités iraniennes.

Toutefois, le mois suivant, les deux capitales prirent l’engagement d’améliorer leurs relations, en particulier dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Et, finalement, M. Çavusoglu fit un geste d’apaisement en soulignant que l’Iran avait soutenu son gouvernement « à chaque instant » de la nuit du 15 juillet « tandis que d’autres pays ont attendu des jours voire des semaines pour nous appeler après le putsch manqué. »

Ce revirement n’était pas si surprenant, à en croire les experts du Moyen-Orient. « Le grand rival historique de la Perse est l’Empire ottoman. Entre eux, la rivalité est ancienne, l’entente possible, selon les nécessités du moment. C’est le cas aujourd’hui », rappelait alors Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite aux Instituts de hautes études internationales et du développement à Genève, dans les colonnes du quotidien Le Temps.

Et c’est ainsi que, la semaine passée, la presse turque a salué un « tournant » dans les relations entre les deux pays lors du déplacement, à Ankara, du général Mohammad Bagheri, le chef d’état-major des forces iraniennes. « Cette visite est nécessaire pour de meilleures consultations et une meilleure coopération sur divers enjeux militaires et régionaux qui concernent la sécurité des deux pays, la sécurité à la frontière et la lutte contre le terrorisme », a-t-il alors expliqué à la télévision iranienne d’Etat IRIB.

Et, visiblement, la question kurde aura été largement abordée lors des entretiens du général Bagheri avec les responsables turcs. Au point que le président Erdogan a confirmé qu’il avait été question d’une « opération commune avec l’Iran contre ces organisations terroristes », à savoir le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, considéré comme terroriste) et le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK), une formation iranienne qui lui est affiliée. Ces deux organisations ont des bases arrière en Irak.

A priori, cette offre portant sur une opération conjointe qui serait menée contre les rebelles kurdes à Sinjar et à Qandil, dans le nord de l’Irak, aurait été faite par le général Bagheri. Le quotidien Türkiye a même évoqué une « proposition surprise », ce que n’a pas démenti le président Erdogan. « Nous pensons que si nos deux pays coopèrent, nous pouvons atteindre des résultats beaucoup plus rapidement », a-t-il dit, alors qu’il était interrogé sur ce point, ce 21 août.

De son côté, le général Bagheri a précisé que les deux pays s’étaient aussi mis d’accord pour renforcer les contrôles à leur frontière commune, alors que, quelques jours plus tôt, Ankara avait annoncé le début de la construction d’un « mur de sécurité » à sa frontière avec l’Iran.

« Les actions de la Turquie et de l’Iran se complètent dans ce domaine. […] Nous sommes arrivés à de bons accords pour empêcher le passage des terroristes de part et d’autre de la frontière », a déclaré le chef d’état-major iranien, ce 21 août.

Cela étant, les autorités iraniennes ont probablement un autre objectif en tête : celui de renforcer la frontière avec l’Irak, afin d’empêcher le retour des kurdes iraniens ayant rejoint les rangs de l’EI (ils seraient entre 300 et 500 dans ce cas). D’autant plus que 4 terroristes ayant pris part aux attaques commises à Téhéran, le 7 juin dernier, étaient issues de cette minorité. C’est aussi pour cela que les services iraniens collaborent avec ceux de la province semi-autonome du Kurdistan irakien, qui entretient, dans le même temps, de bons rapports avec Ankara.

Cependant, ces relations risquent de se dégrader : l’Iran et la Turquie s’opposent à la tenue d’un référendum d’indépendance au Kurdistan irakien, prévu le 25 septembre prochain.

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