Une usine ukrainienne soupçonnée d’avoir aidé la Corée du Nord dans le domaine des missiles

Le renforcement des sanctions voté par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’attitude de Pékin et probablement les propos fermes tenus par le président Trump ont visiblement eu leur effet : le leader nord-coréen, Kim Jong-Un, a dit renoncer, du moins pour le moment, à son projet d’envoyer 4 missiles en direction des bases américaines implantées sur l’île de Guam. Et l’essai d’un engin balistique mer-sol (SLBM), qui semblait imminent la semaine passée, au regard des photographies du site de Sinpo, prise par un satellite commercial, n’a pas encore eu lieu.

Cela étant, les progrès rapidement réalisés par la Corée du Nord dans le domaine des missiles ainsi que dans celui des armes nucléaires continuent de poser des questions.

« À chaque fois qu’ils font des essais de missile, ou s’ils font un essai de missile nucléaire, ils gagnent en expertise, et on peut dire qu’ils progressent à un rythme alarmant », a ainsi observé Mike Pompeo, le directeur de la CIA, lors d’un entretien donné à Fox News, le 13 août. « Rien n’est imminent. Mais attention, la probabilité accrue qu’un missile nucléaire frappe les Etats-Unis est une menace très dangereuse », a-t-il ajouté.

De son côté, la Defense Intelligence Agency (DIA), le service de renseignement militaire américain, estime que la Corée du Nord disposerait d’une soixantaine de têtes nucléaires pouvant être installées sur une missile balistique. Cela étant, cette évaluation a été relativisée par plusieurs experts du programme nucléaire nord-coréen… Mais ces derniers ne remettent pas en cause les progrès significatifs réalisés par la Corée du Nord en peu de temps.

Comment cela a-t-il pu être possible, sachant que Pyongyang doit composer avec des sanctions internationales, qui ciblent précisément ses programmes de missiles balistiques et ses activités nucléaires? En 2010, les câbles diplomatiques américains révélés par WikiLeaks ont apporté un début de réponse : des transferts technologiques existaient alors entre l’Iran et la Corée du Nord, via la Chine. Ce que confirma un rapport des Nations unies, évoqué par l’agence Reuters.

Puis, après de nouvelles sanctions prises en 2016 à son égard, Pyongyang a d’abord lancé un missile de portée intermédiaire (le Hwasong-12) puis deux missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) de type Hwasong-14.

« Aucun pays ne peut passer de missiles à moyenne portée à un ICBM en si peu de temps », note une étude de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), un centre de recherche basé à Londres.

Pour l’auteur de ce rapport, Michael Elleman, spécialiste de la défense antimissile, ce bond technologique s’explique par le recours au marché noir. Ainsi, la Corée du Nord a réussi à mettre la main sur des moteurs à ergols liquides de haute performance (LPE).

« Les indices disponibles indiquent clairement que ce LPE est issu de la famille de moteurs soviétiques RD-250 et qu’il a été modifié pour fonctionner avec le Hwasong-12 et 14 », explique M. Elleman. Et, en procédant par élimination, il est arrivé à la conclusion que deux sociétés peuvent être impliquées : l’entreprise ukrainienne KB Ioujnoïe, propriétaire de l’usine Yuzhmash, et le groupe russe Energomash.

Mais les soupçons se concentrent davantage sur l’usine Yuzhmash, implantée à Dnipro, dans l’est de l’Ukraine (oblast de Dnipropetrovsk). Durant la Guerre Froide, elle a produit différents modèles de missiles soviétiques, dont les SS-18. Et, à cause de la crise ukrainienne et de l’affaire de la Crimée, elle a perdu ses contrats avec la Russie. Du coup, elle se trouve maintenant en grande difficulté financière.

A-t-elle trouvé un moyen de subsister en livrant les moteurs RD-250 modifiés ayant servi aux deux essais d’ICBM nord-coréens? S’il est trop tôt pour le dire, la probabilité est forte. D’autant plus que, en juillet 2012, la Corée du Nord a tenté de voler des informations relatives aux systèmes de missiles [.pdf, page 25], aux propulseurs liquides aux les engins spatiaux et aux systèmes d’approvisionnement en carburant à missiles sur le site de cette usine. Deux espions nord-coréens avaient d’ailleur été arrêtés.

Cela étant, le gouvernement ukrainien a réfuté toute responsabilité dans cette affaire. D’après Michael Elleman, les moteurs en question aurait pu en effet être obtenus de façon illégale à l’insu de Kiev, sur le marché noir. Et cela, grâce au contacts établis de longue date par la Corée du Nord dans l’ex-Union soviétique.

L’usine Yuzhmash a également démenti avoir livré des moteurs à Pyongyang et dit n’avoir « jamais eu » et n’avoir « aucun lien avec le programme de missiles nord-coréens qu’il soit de nature spatiale ou pour la défense. » Ce qu’a confirmé l’Agence spatiale nationale d’Ukraine.

« De tels moteurs on été fabriqué jusqu’en 2001 par l’usine Yuzhmash pour les fusées spatiales russe Tsiklon-2 et Tsiklon-3″, a expliqu » Youri Radchenko, un responsable de l’agence ukrainienne. « Les moteurs et les fusées ont été fabriqués par Yuzhmash pour les besoins de la Russie », a-t-il insisté.

Et d’ajouter : la Russie « a aujourd’hui entre 7 et 20 fusées Tsiklon » et elle peut faire tout ce qu’elle veut avec les moteurs et les plans ». Ils [les Russes] « ont ces moteurs et la documentation. Ils peuvent fournir ces moteurs de fusée à ceux qui en veulent », a-t-il dit.

Le vice-Premier ministre russe, Dmitri Rogozine, a renvoyé la balle à Kiev. Selon lui, il est impossible que la Corée du Nord ait copié de tels moteurs « sans l’aide de spécialistes ukrainiens ». « Pour faire une copie, vous devez disposer du moteur d’origine ou de plans détaillés », a-t-il fait valoir.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]