Malgré un taux de chômage d’environ 10%, l’industrie française de la défense peine à recruter

La France est un pays qui cultive les paradoxes. Alors que son taux de chômage avoisine les 10%, avec 5.865.700 personnes inscrites à Pôle Emploi et qu’elle consacre environ 32 milliards d’euros (soit l’équivalent du budget des Armées) à la formation professionnelle, son industrie de la défense peine à recruter.

Une situation dénoncée par Hervé Guillou et Éric Trappier, respectivement présidents du GICAN (contruction navale) et du GIFAS (aéronautique et espace), lors de leur passage devant la commission de la défense, à l’Assemblée nationale. Leur homologue à tête du GICAT (armement terrestre et sécurité), Stéphane Mayer, ne s’est pas attardé sur ce sujet mais la filière qu’il représente connaît les mêmes difficultés en matière de recrutement.

En effet, en février 2016, le Pdg de Renault Trucks Defense, Emmanuel Levacher, avait fait part de la préoccupation de son groupe dans ce domaine. « Il nous est difficile de trouver du personnel qualifié, surtout pour des métiers très pointus comme les soudeurs de caisses blindées, d’autant que les bassins d’emploi dans lesquels nous nous situons sont relativement petits. Nous avons le souci d’attirer des professionnels aux compétences rares, de les recruter, de former des personnels qualifiés et de les conserver », avait-il expliqué aux députés.

Quoi qu’il en soit, cette difficulté à recruter alors que le nombre de chômeurs a atteint des niveaux record a été dénoncée, parfois en des termes vigoureux, par MM. Trappier et Guillou, les deux dirigeants ayant avancé les mêmes raisons pour l’expliquer.

Pour le président du GIFAS, c’est un « paradoxe qu’il faut éliminer » car « dans un pays où il y a du chômage, on ne devrait pas avoir de difficultés à pouvoir embaucher compte tenu des besoins qu’on a ». Et les difficultés dans ce domaine sont plus importantes encore pour les ETI et les PME que pour les grands groupes. Selon M. Trappier, cela s’explique par le fait que les métiers de l’aéronautique ne sont pas assez connus, voire promus. La faute à l’orientation scolaire, qui considère trop souvent que « l’apprentissage auquel on tient beaucoup est une filière de l’échec » alors que « c’est une filière de réussite, qui permet d’avoir un emploi », a-t-il dit.

Son homologue du GIGAN s’est montré encore plus « offensif » sur ce sujet. « Nous avons un véritable problème dans la zone Bac -3/Bac +3 pour pouvoir embaucher. Tous les industriels du secteur [naval] sont confrontés à cette pénurie. À chaque fois qu’on prend une affaire, ça devient un drame parce qu’on n’a plus le choix qu’entre deux mauvaises solutions […] : soit il faut sous-traiter hors de France, soit on fait venir des travailleurs détachés. Dans les deux cas, on a tort », a expliqué M. Guillou.

Pour pallier à ces difficultés, le GICAN cherche donc à « reconstruire un écosystème industriel robuste » dans ses bassins d’emploi, en « redynamisant tous les métiers industriels », de l’ouvrier à l’ingénieur, en passant par le technicien. Ainsi, l’idée de créer un « campus naval » a été relancée afin de « créer de l’appétence et de la perspective aux métiers industriels », a détaillé M. Guillou, qui est aussi Pdg de Naval Group (DCNS).

« Vous ne pouvez pas envoyer 80.000 jeunes se faire tirer au sort pour entrer à l’Université alors qu’on cherche à employer 900 personnes chez nous, cette année et qu’on ne trouve pas de candidats », a continé M. Guillou. Et quand on en trouve, « ils n’ont pas les bonnes formations parce que le système ne produit ni en volume, ni en technicité exactement » les profils dont on a besoin, a-t-il déploré.

D’où le lancement d’une coopération du GICAN avec les régions (Normandie, Bretagne, Pays-de-Loire et Nouvelle Aquitaine) afin de prendre une « forte initiative dans le domaine de la formation professionnelle » pour donner aux jeunes « l’envie d’aller vers les métiers de l’industrie. »

« C’est peut-être mieux d’être technicien supérieur en mécatronique à Brest plutôt que d’aller échouer en fac de psycho-socio. C’est une question qu’il faut que tout le monde se pose », a fait valoir M. Guillou. Et comme Éric Trappier, il a vigoureusement défendu les filières industrielles, qui « ne sont pas des filières de l’échec. »

« Si vous voulez donner le signal que c’est une filière de ratés » en y « envoyant de force » les élèves interdits de redoublement dans l’enseignement général, alors « vous n’avez qu’à continuer comme ça, s’est emporté le président du GICAN, pour qui on doit dire aux jeunes que, en choisissant l’industrie naval, ils auront un métier « high tech », très varié, qui évoluera dans le temps avec des « perspectives d’ascenseur social tout à fait importantes ».

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