Pourquoi la France veut-elle coopérer avec l’Allemagne pour développer un nouvel avion de combat?

Cockpit du F-35

En dépit des polémiques suscitées par les surcoûts générés par son développement, l’avion de combat furtif F-35A, dit de 5e génération, a visiblement obtenu d’excellents résultats lors de l’exercice Red Flag 17-1, organisé en janvier dernier sur le « range » de la base de Nellis, dans le Nevada.

Ainsi, au cours de leurs 207 sorties, les F-35A du 388th Fighter Wing ont détruit 49 cibles au sol particulièrement défendues (sur 51 prévues, les deux échecs ayant été causés par des munitions défectueuses). En combat « air-air », ces avions ont obtenu un ratio de 20:1, c’est à dire que pour que l’un des leurs perdu, 20 appareils « adverses » ont été envoyés au tapis, la plupart du temps lors d’engagements « BVR » (Beyond the Visual Range), c’est à dire à longue distance.

Cependant, ces résultats sont à nuancer. Les règles d’engagement (ROE) n’ont pas été précisées et l’on ignore le rôle qu’ont pu jouer les F-22 Raptor qui les accompagnaient. Reste que le F-35A s’est illustré par sa capacité à relayer, via Liaison 16, la situation tactique en temps réel aux autres appareils avec lesquels il était engagé, leur permettant ainsi de tirer leurs munitions à distance de sécurité.

« Les F-35A sont entrés dans l’espace aérien refusé et ont engagé des cibles aériennes et terrestres, non seulement avec les munitions qu’ils emportaient, mais aussi avec celles lancées à partir d’autres plates-formes comme les [bombardiers] B-1B qui se trouvaient à l’extérieur de l’environnement contesté », a ainsi résumé le site spécialisé « The Aviationist ».

Or, pour le général André Lanata, le chef d’état-major de l’armée de l’Air (CEMAA), cette capacité à fusionner et à relayer des informations tactiques afin de permettre à d’autres avions d’agir, associée à la furtivité, change la donne au niveau des capacités opérationnelles.

Le F-35 « connecte massivement des informations avec les autres appareils du système de combat aérien. Si je parle de système de combat aérien, c’est qu’il ne faut pas considérer chaque avion pris isolément mais bien concevoir le système dans son ensemble : c’est ce système qui produit des effets, grâce à la connexion que nous arrivons à établir entre les différents mobiles du dispositif de combat aérien », a ainsi expliqué le CEMAA lors de son audition par les députés de la commission de la Défense.

Or, a aussi souligné le général Lanata, l’entrée en service du F-35 au sein de plusieurs forces aériennes européennes (Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Danemark, Norvège) suscite un « risque de déclassement » de l’armée de l’Air française. « Dans moins de cinq ans, cet avion constituera le standard de référence pour être capable de participer aux scénarios d’engagement les plus exigeants. Il nous revient, aujourd’hui, de décider si nous souhaitons continuer à prendre part, demain, aux engagements de ce type », a-t-il prévenu.

« Qu’on le veuille ou non l’aviation de combat fait partie des marqueurs de puissance d’un pays, du fait des capacités militaires essentielles qu’elle permet de déployer et du niveau technologique requis qui signe la capacité d’un pays à garantir sa souveraineté. J’estime donc qu’il s’agit d’un enjeu stratégique », a affirmé le CEMAA. D’où l’intention, annoncée le 13 juillet, de lancer une coopération franco-allemande afin de développer un nouvel avion de combat.

Mais pourquoi l’Allemagne, qui fait mine de s’intéresser au F-35, alors que la France a déjà lancé, en partenariat avec le Royaume-Uni, le programme de « Système de combat aérien futur » (SCAF)? Tout simplement parce que, « dans les équilibres des forces en Europe, il n’y a plus guère, parmi les grands pays disposant de capacités d’investissement significatives et étant à parité stratégique avec la France, que l’Allemagne qui n’ait pas encore fait le choix de renouveler ses flottes de combat », a avancé le général Lanata.

« C’est pourquoi il me semble intéressant sur le plan politique de prendre une initiative avec l’Allemagne pour engager un dialogue, afin d’étudier les possibilités de coopération pour remplacer ensemble nos flottes d’avions de combat », a continué le CEMAA, qui estime, « en première approche », que la France pourrait « avoir des besoins similitaires à ceux de l’Allemagne dans ce domaine. »

Et d’ajouter : « Nous sommes encore deux pays en Europe qui disposent de capacités d’investissement, l’Allemagne en manifeste d’ailleurs la volonté, avec l’augmentation significative de ses budgets de défense. »

Seulement, plusieurs conditions doivent être remplies pour qu’un tel projet puisse être mis sur les rails. Le général Lanata en a donné une : celle consistant à trouver « les architectures industrielles équilibrées qui permettront la réalisation de ces coopérations ».

Ce qui n’est pas gagné : Airbus travaille déjà sur un successeur du Tornado, actuellement en service au sein de la Luftwaffe et le bureau d’études de Dassault Aviation s’est déjà penché sur le successeur du Rafale, qui reprendrait la forme générale de cet appareil tout en le dotant de capacités furtives (*) et en mettant l’accent sur la guerre en réseau ainsi que sur le traitement de l’information en temps réel et l’amélioration de l’interface homme-machine.

Une autre condition, essentielle, est d’arriver à se mettre d’accord sur les besoins opérationnels communs, sachant que ceux des forces françaises ne correspondent pas forcément à ceux de leurs homologues allemandes, lesquelles n’ont ni porte-avions, ni dissuasion nucléaire.

« L’avion de combat du futur ne sera européen que si les Européens s’entendent sur un besoin opérationnel commun. Il faut tirer les leçons de quinze ans d’échec dans la défense européenne. Sans besoin stratégique commun, il ne peut y avoir de programme défini à Bruxelles. Inutile de répéter les erreurs du passé », expliquait, en mai 2016, Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, dans les colonnes du quotidien Les Échos. D’ailleurs, pour cette raison, il avait estimé que le Rafale n’était « pas forcément » le dernier projet « franco-français ».

Et puis il faudra évidemment prendre en compte le coût de développement et d’exploitation de cet avion de combat « franco-allemand », alors que, dans le même temps, et compte-tenu de l’effet d’échelle, le prix du F-35 deviendra plus abordable (du moins pour son achat… pour l’usage, c’est autre chose).

Quoi qu’il en soit, alors qu’il s’eprimait en qualité de président du GIFAS devant les députés de la commission « Défense », Éric Trappier a estimé qu’il n’y avait « pas à rougir face au F-35. » Et de poursuivre : « Alors, tous les Européens achètent du F-35, c’est très bien. Mais je préfére que la France ait du Rafale. Pas simplement parce qu’on l’a conçu et développé mais parce que je pense qu’il est beaucoup plus efficace. Parce que si vous avez du F-35, il faut aussi avoir du F-22 si vous voulez faire du air-air. Et puis c’est pas si mal si vous avez du F-18 sur votre porte-avions en plus. Vous avez [donc] besoin de plusieurs types d’avions qui coûtent plus cher en maintenance ».

(*) Le projet de loi de finances 2007 évoquait le lancement (ou la poursuite) de « travaux » portant sur un démonstrateur de « furtivité » pour le Rafale [page 59 de ce document]

Photo : Cockpit du F-35

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