Faute d’investissements rapides, l’armée de l’Air risque le déclassement

En juin 2008, un collectif d’officiers anonyme, appelé « Surcouf », diffusa, par l’entremise du Figaro, une tribune acerbe pour dénoncer les recommandations faites dans le Livre blanc sur la Défense qui venait juste d’être publié. Recommandations faisant l’objet d’une « communication politique » qui, selon eux, « ne saurait masquer la réalité d’un véritable déclassement militaire de notre pays, dans un monde bien plus dangereux qu’hier. »

Près de 10 ans plus tard, ce « déclassement » annoncé par le collectif Surcouf guette l’armée de l’Air, à en juger par les propos que son chef d’état-major, le général André Lanata (CEMAA), a tenus lors d’une audition devant les députés de la commission de la Défense.

Devant déjà, dixit le CEMAA, faire face « à des fragilités qui affectent l’ensemble de son système de combat » qui sont la conséquences des politiques menées lors de ces 10 dernières années (suppression de 18.000 postes et de 17 bases aériennes, format de l’aviation de chasse divisé par deux, vieillissement des matériels, etc…), l’armée de l’Air risque, faute d’investissements rapides, de se retrouver en seconde division par rapport aux autres forces aériennes, qu’elles soient alliées ou non.

Premier point d’attention, pour le général Lanata : la modernisation, tant en qualité qu’en quantité, de l’arsenal aérien et anti-aérien des « grands États », lequels mettent « en oeuvre des stratégies de déni d’accès, qu’ils disséminent ensuite au niveau régional, de l’Asie à la Méditerranée », comme le font actuellement la Russie et la Chine. D’où « la prolifération des systèmes de défense sol-air de type S300-S400, y compris sur des théâtres d’opérations régionaux », qui est « très significative ».

Aussi, pour le CEMAA, le « risque de perte de notre supériorité aérienne vis-à-vis de nos adversaires potentiels – d’une importance essentielle […] – est réel. » Tout comme l’est celui « du déclassement vis-à-vus de nos partenaires et alliés, qui se modernisent plus vite que nous », a-t-il souligné.

« L’avion de chasse F-35, avion furtif de dernière génération qui entre actuellement en service dans plusieurs armées de l’air européennes, mais aussi en Australie, constitue l’une des illustrations de ce risque de déclassement », a estimé le général Lanata.

« J’observe une pression très importante de l’industrie aéronautique américaine en Europe, avec le déploiement progressif d’un avion de combat de dernière génération, le F-35. Ce dernier change la donne sur le plan des capacités opérationnelles en raison, principalement, de sa discrétion […] et de ses capacités de connectivité : il connecte massivement des informations avec les autres appareils du système de combat aérien », a relevé le général Lanata.

Or, a-t-il prévenu, « dans moins de 5 ans, cet avion constituera le standard de référence pour être capable de participer aux scénarios d’engagement les plus exigeants. Il nous revient, aujourd’hui, de décider si nous souhaitons continuer à prendre part, demain, aux engagements de ce type. ».

En clair, l’armée de l’Air devrait songer, sans tarder, à se doter d’un avion de combat répondant aux mêmes standard que le F-35 du constructeur américain Lockheed-Martin… Car, a dit le CEMAA, « un pays qui n’est pas au niveau technologique est déclassé. »

« Il l’est vis-à-vis de ses partenaires car il lui est de ce fait impossible d’entrer en premier avec eux, par exemple ; il l’est aussi, évidemment, vis-à-vis de ses adversaires, face auxquels il sera forcément confronté à une situation d’infériorité donc à de grosses difficultés opérationnelles, pour parler pudiquement », a-t-il expliqué.

Et, certains pays alliés de la France, comme le Royaume-Uni, ont un train d’avance. Depuis 2010, « les Britanniques ont lancé une modernisation relativement rapide et ambitieuse de leurs forces aériennes, qui les place très sensiblement en avance sur nous », a relevé le général Lanata.

Le fait est : la Royal Air Force aligne 14 ravitailleurs A-330 MRTT neufs (l’armée de l’Air en attend seulement 12, dont 9 ont été commandés), de six AWACS (4 pour la France), d’une flotte de transport « composée d’une palette de moyens récents » (C130, C17, A400M) et de moyens de surveillance conséquents. En outre, elle disposera d’une « flotte de chasseurs composée uniquement d’avions de quatrième et de cinquième génération (Eurofighter et F35) » quand celle de son homologue française sera plutôt composée d’appareil de génération antérieure (Mirage 2000 et Rafale).

Même l’Australie a pris de l’avance, « avec à peu près les mêmes types d’équipements : moyens de ravitaillement, de surveillance et de guerre électronique de dernière génération ; acquisition du F-35 etc », a fait valoir le CEMAA.

« Que l’on soit surclassé par les États-Unis n’est pas surprenant; que l’on commence à l’être par des partenaires équivalents est une autre affaire », a-t-il souligné.

Par ailleurs, le général Lanata a indiqué que les forces [aériennes] russes font l’objet d’une attention particulière, « non seulement parce qu’elles disposent d’équipements performants mais aussi parce qu’elles les cèdent ensuite à des pays tiers, situés notamment dans des régions d’intérêt pour nos forces. » Et elles aussi, comme leurs homologues chinoises, se dotent (ou entendent le faire) d’avions de 5e génération (Sukhoï T-50 pour les Russes, J-20 et J-31 pour les Chinois).

Ce déclassement, qui viendra si aucun investissement n’est rapidement fait pour y remédier, aura des conséquences sur la crédibilité de la dissuasion nucléaire, dont l’armée de l’Air assume la composante aéroportée (avec la FANu, du côté de la Marine nationale).

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