Libye : La feuille de route pour une « réconciliation nationale » parrainée par M. Macron est pleine d’incertitudes

« C’est une feuille de route pour une réconciliation nationale », a commenté le président Macron, le 25 juillet, au sujet du plan de sortie de crise « agréé » (et donc non signé) par Fayez Al-Sarraj, le chef du gouvernement d’union nationale libyen (GAN), reconnu par la communauté internationale, et le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’armée nationale libyenne (ANL) et homme fort de la Cyrénaïque.

À l’initiative de la France, M. Al-Sarraj et le maréchal Haftar, les deux frères ennemis de la scène libyenne, ont ainsi convenu de « s’abstenir de tout recours à la force armée pour ce qui ne ressort pas strictement de la lutte antiterroriste », d’intégrer leurs troupes au sein d’une armée régulière et d’organiser de nouvelles élections au printemps 2018, lors d’une rencontre à la Celle-Saint-Cloud. Mais il faudra attendre pour voir si la diplomatie française a remporté ou non un succès…

Il faut dire que le contexte politique libyen est compliqué et que les efforts menés en vue d’une réconciliation nationale, absolument nécessaire pour lutter contre l’implantion de groupes jihadistes dans le pays et contre les trafics d’êtres humains, ont systématiquement échoué.

Avant l’été 2014, la situation était encore relativement simple. Il y avait un gouvernement issu d’un Parlement, appelé Congrés général national (CGN), dominé par les islamistes à l’issue des premières élections libres depuis la chute du régime du colonel Kadhafi.

Largement contesté par les Libyens, le CGN appela à des élections anticipées. Seulement, il n’en accepta pas les résultats. Du coup, le nouveau Parlement élu alla s’établir, sous le nom de « Chambre des représentants », à Tobrouk, dans l’est du pays. Ce qui donna lieu à deux gouvernements : l’un à Tripoli, dirigé par Khalifa al-Ghowel et soutenu par la Turquie et le Qatar, l’autre à al-Bayda, conduit par Abdallah al-Thani et reconnu par la communauté internationale, car issu d’un processus démocratique.

Par la suite, les deux autorités rivales, disposant chacune de milices et de forces armées, s’affrontèrent militairement, ce qui fit le jeu des groupes jihadistes, à commencer par ceux liés à l’État islamique (EI). Ces derniers s’emparèrent ainsi de Syrte en 2015.

Dans le même temps, le maréchal Haftar, soutien du gouvernement d’al-Bayda, lança l’opération « Dignité » afin de chasser les mouvement extrêmistes armés de Benghazi. Nommé, par la suite, à la tête de l’ANL, il put compter sur le soutien de l’Égypte, des Émirats arabes unis, de la Russie ainsi que sur celui, discret, de la France.

Consciente que ces rivalités politiques faisaient le jeu des groupes terroristes, les Nations unies invitèrent des représentants du CGN et de la Chambre des représentants à négocier. Ce qui aboutit aux accords de Skhirat [Maroc] qui, signés en décembre 2015, prévoyaient l’installation d’un gouvernement d’union nationale (donc, le GNA) dirigé par Fayez Al-Sarraj. Seulement, installé à Tripoli en mars 2016, ce dernier ne fut pas reconnu par le Parlement élu en 2014, en raison d’un désaccord sur l’avenir qu’il entendait réserver au maréchal Haftar. D’où la rivalité qui existe encore aujourd’hui.

Soutenu officiellement par la communauté internationale, le GNA, fort du ralliement de plusieurs milices armées de Misrata, lança une offensive visant à chasser l’EI de Syrte, avec l’appui militaire des États-Unis et celui, dans une moindre mesure, de l’Italie, tandis que se poursuivaient l’opération « Dignité » en Cyrénaïque, avec le soutien officieux de la France, le ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian, faisant preuve de pragmatisme dans cette affaire.

Seulement, l’équation se compliqua encore avec le retour sur la scène libyenne du gouvernement dit de salut public dirigé par Khalifa al-Ghowel et soutenu par le CGN ainsi que par plusieurs milices armées influentes. En réalité, le gouvernement Fayez Al-Sarraj, ne contrôle plus grand chose en Libye, si tant est qu’il ait déjà eu la mainmise sur quoi que ce soit. Qui plus est, il n’a pas reçu de mandat pour négocier quelque accord de la part de ses soutiens à Tripoli et à Misrata.

Et cela limite évidemment la portée de la feuille de route parrainée par M. Macron, d’autant plus que d’autres acteurs importants (et remuants) ne sont pas concernés par ce qui a été négocié. Les milices accepteront-elles, par exemple, de rendre leurs armes? Quid des élus du CGN et de ceux de la Chambre des représentants? Accepteront-ils le résultat des urnes au printemps prochain, si les élections annoncées ont effectivement lieu? Et que diront les partisans de M. al-Ghowel? Quelle attitude auront les tribus?

Quant au maréchal Haftar, il a pris une nouvelle envergure après la victoire de ses troupes sur les groupes terroristes à Benghazi. On notera au passage que les armes n’ont pas cédé à la toge : ce n’est pas lui qui aurait dû rencontré le chef du GNA à la Celle-Saint-Cloud mais Abdallah al-Thani, le chef du gouvernement d’al-Bayda. Quand il avait salué le succès de l’opération Dignité, début juillet, Jean-Yves le Drian, désormais chef de la diplomatie française, avait rappelé l’objectif d’une « armée libyenne sous l’autorité du pouvoir civil ».

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