Les 5.000 missiles sol-air portatifs de l’armée vénézuélienne vont-ils alimenter le trafic d’armes?

Confronté à une crise politique et économique (effondrement du cours du pétrole, qui représente plus de 90% de ses recettes et inflation de 720%), le Venezuela vit au rythme d’une vive contestation du pouvoir en place, incarné par le président Nicolas Maduro, « héritier » d’Hugo Chavez, le chantre de la « révolution bolivarienne ».

Depuis avril, les violences ont officiellement fait 58 morts. Et les observateurs notent une militarisation croissante du pouvoir chaviste, lequel parle d’une « campagne de déstabilisation ». Le ministre vénézuélien de la Défense, le général Vladimir Padrino Lopez, a même évoqué une « situation de subversion intérieure qui frise l’insurrection armée », avec une opposition, qui, selon lui, « veut transformer le Venezuela en une autre Syrie. »

Sur fond de graves pénuries (denrées alimentaires, médicaments, etc…) et de tentatives pour museler l’opposition, les manifestations contre le pouvoir se font de plus en plus violentes. C’est notamment le cas dans l’État de Tachira (ouest), où des renforts militaires ont été déployés sur l’ordre de M. Maduro pour y réprimer l’opposition.

Le gouvernement pousse à la confrontation « car il n’a plus de soutien populaire », a expliqué, cette semaine, à l’AFP, le sociologue Roberto Briceño Leon, directeur de l’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV). Le fait est : 7 vénézuéliens sur 10 souhaiteraient le départ de M. Maduro… « Mais même si les gens ont peur, ils veulent continuer à protester, avec davantage de véhémence et passer à l’offensive », a-t-il ajouté.

Et si les violences se poursuivent, le Venezuela pourrait être au bord de la « guerre civile », a prévenu Francisco Coello, sociologue de l’université catholique Andrés Bello, rejoignant ainsi les propos du général Padrino Lopez.

L’armée vénézuélienne, véritable État dans l’État [un tiers des ministres sont des officiers d’active ou de réserve tandis que d’autres sont à la tête d’entreprises d’État] est largement acquise du pouvoir chaviste. Seulement, au regard de l’effondrement économique du Venezuela, qui dépend de l’extérieur pour ses approvisionnements, il n’est pas exclu de voir se jouer un scénario à la soviétique.

La chute de l’URSS fut en effet une aubaine pour les trafiquants d’armes dans la mesure où, pour certains cadres de l’Armée Rouge, c’était une façon d’assurer leur subsistance. Qu’en sera-t-il pour le Venezuela si la situation qu’il connaît actuellement s’aggrave encore, sachant que ses forces armées disposent d’un arsenal conséquent?

Un point doit particulièrement susciter l’attention : celui des missiles sol-air portatifs (MANPADS, pour Man-portable air-defense systems).

Selon l’agence Reuters, l’armée vénézuelienne disposerait d’au moins 5.000 missiles de type SA-24 « Grinch » (ou Igla-S), acquis auprès de la Russe au cours des années 2000, dans son arsenal. Et cela en fait le plus important stock connu en Amérique latine.

Étant donné la déliquescence économique du pays, des experts craignent que ces missiles puissent être volés ou revendus à des mouvements de guérilla, des organisations criminelles (qui ne manquent sur le continent sud-américain), voire à des groupes terroristes. Et la prolifération éventuelle de ces systèmes poserait une menace contre l’aviation commerciale.

Qui plus est, comme le souligne Reuters, « le Venezuela abrite un commerce d’armes illicites prospère. Des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, même des grenades sont facilement disponibles sur le marché noir et dans les prisons notoirement violentes du pays. Il y a des rapports fréquents sur des militaires et des policiers qui ont volé des armes. »

Récemment, le directeur de la CIA, Mike Pompeo, a fait part de sa préoccupation à ce sujet, lors d’une audience au Congrès. « Ce risque est incroyablement réel et sérieux… en Amérique du Sud et en Amérique centrale », a-t-il dit.

Cela étant, la menace peut potentiellement concerner l’Afrique et l’Europe. Le Venezuela est déjà une plaque tournante du trafic de cocaïne, avec deux routes maritimes et aériennes, dont l’une part de la côte vénézuélienne et rejoint l’Afrique de l’Ouest, où elle alimente des trafiquants souvent de mèche avec les groupes jihadistes locaux. Quant à la seconde, elle passe par le Mexique pour ensuite aller vers les États-Unis et le Canada.

Et l’on peut imaginer que des MANPADS puissent prendre le même chemin, d’autant plus que de forts soupçons pèsent sur l’implication de cadres de haut rang de l’armée vénézuelienne dans ces trafics.

Selon les câbles diplomatiques américains diffusés par WikiLeaks, la question de ces MANPADS préoccupait déjà, en 2009, Washington. En effet, Hillary Clinton, alors secrétaire d’֤État, avait demandé à son homologue russe, Sergueï Lavrov, de cesser de vendre ces missiles sol-air portatifs à Caracas, en raison de doutes sur la gestion par l’armée vénézuélienne de ses stocks d’armes.

À lire : Au coeur du trafic d’armes. Des Balkans aux banlieues, Jean-Charles Antoine – Éditions Vendémiaire, 22 euros

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