Migrants : Tripoli ne ménage pas ses critiques à l’égard de l’Union européenne

Lancée en juin 2015 par l’Union européenne, l’opération navale Sophia n’a pas réussi, jusqu’à présent, à réduire le flux de migrants qui, depuis la Libye, traversent la Méditerranée centrale pour rejoindre le sud de l’Europe.

Et pour cause : les passeurs envoient les migrants sur des embarcations sommaires avec suffisamment d’essence pour atteindre les eaux internationales, afin qu’ils soient récupérés par les navires européens, lesquels n’ont toujours pas l’autorisation d’intervenir au plus près des côtes libyennes. Du coup, l’opération Sophia est devenue un « facteur d’attraction » et le modèle économique des trafiquants qu’elle devait « casser » se porte très bien.

Selon le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU, plus de 24.000 migrants sont déjà arrivés de Libye en Italie au cours des trois premiers mois de cette année, contre 18.000 sur la même période en 2016.

En février, un responsable d’EUNAVFOR MED Sophia, le général Manlio Scopigno, a rappelé que « notre mandat spécifique est d’identifier, d’arrêter et d’immobiliser toute embarcation transportant des immigrés illégaux, et non pas de sauver des vies en mer ». Toutefois, a-t-il ajouté, « nous avons l’obligation juridique et morale de porter secours à quiconque se trouve en situation de détresse en mer. C’est pourquoi nous avons sauvé plus de 33 000 individus depuis le début de notre opération. »

Pour contourner cette impossibilité d’intervenir dans les eaux libyennes, l’UE a confié à l’opération Sophia le soin de former les gardes-côtes du gouvernement libyen d’union nationale (GNA), formé sous l’égide des Nations unies et officiellement reconnu par la communauté internationale.

C’est ainsi que 89 gardes-côtes libyens ont été formés à bord du navire italien San Giorgio dans le port de La Valette, à Malte. Une seconde session de formation est prévue en 2017.

Seulement, le gouvernement libyen d’union nationale, qui, dans les faits, ne contrôle pas grand chose en Libye, ne ménage pas ses critiques à l’endroit de l’Union européenne. Le premier à avoir ouvert le bal est son chef de la diplomatie, Mohamad Taher Siala. Lors d’un déplacement à Varsovie, le 31 mars, s’en est pris à l’opération Sophia, estimant qu’elle « encourage les migrations ».

« Tout simplement parce qu’avant, les migrants calculaient tous les risques », de la traversée de la Libye puis de la Méditerranée jusqu’aux îles italiennes de Lampedusa ou de Pantelleria. Aujourd’hui, ils ne calculent que le risque qu’il y a à traverser la Libye et sortir des eaux territoriales libyennes. Seulement cela, parce qu’ensuite ils sont repêchés par les bateaux [européens] qui les conduisent en Europe, en toute sécurité. Je pense qu’il faut repenser cette opération », a ainsi lancé M. Taher Siala, avant de plaider pour des programmes d’investissements au bénéfice des pays à l’origine des flux migratoires.

Puis, le 11 avril, le chef du GNA, Fayez al-Sarraj, y est allé encore plus fort en accusant l’UE de ne pas tenir ses engagements à l’égard de Tripoli. « Malheureusement, l’Europe ne nous a pas aidés. Elle a juste fait des promesses en l’air », a-t-il dit, à propos de l’aide européenne.

« Nous avons d’urgence besoin de plus d’assistance professionnelle pour protéger et contrôler nos côtes (…) En outre, la communauté internationale doit faire davantage pour aider à stabiliser le pays », a continué le Premier ministre libyen reconnu. « Nos demandes n’ont pas reçu de réponses pour l’instant. Si cela ne change pas, le résultat sera encore plus de trafiquants et davantage de réfugiés », a-t-il encore averti.

Le souci est que, d’après un diplomate européen dont les propos ont été rapportés par l’AFP, les gardes-côtes ne seraient pas tous dignes de confiance.

« Étant donné que certains garde-côtes libyens se livrent à des trafics, y compris des trafics d’êtres humains, il est indispensable qu’une aide européenne soit assortie d’un mécanisme de suivi sur l’emploi de ce matériel », a confié ce diplomate.

Par ailleurs, l’UE a déjà promis une enveloppe de 200 millions d’euros pour lutter contre le trafic de migrants en Méditerranée. Une somme jugée insuffisante par M. al-Serraj, qui, lors d’une réunion tenue le 20 mars à Rome, aurait « demandé des radars, des embarcations, des hélicoptères ou encore des véhicules tout terrain, pour un total de 800 millions d’euros, pour contrôler ses frontières sud et ses eaux territoriales ».

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