Syrie/EI : Les désaccords entre Washington et Ankara peuvent compromettre l’offensive sur Raqqa

Lancée en août 2016 avec des groupes rebelles syriens, l’opération turque « Bouclier de l’Euphrate » vise à chasser les jihadistes de l’État islamique (EI ou Daesh) et à empêcher les milices kurdes des Forces démocratiques syriennes de faire la jonction des secteurs qu’elles contrôlent dans le nord de la Syrie.

Après avoir pris à l’EI les localités de Jarabulus, de Dabiq et, plus récemment, d’al-Bab [avec une aide russe, ndlr], les troupes turques et les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) ont l’objectif d’avancer vers la ville de Manbij, conquise par les FDS au cours de l’été dernier, à l’issue de plusieurs semaines de combats contre les jihadistes.

Dans le même temps, les forces gouvernementales syriennes, appuyées par des combattants du Hezbollah libanais et l’aviation russe, ont aussi progressé vers Manbij et fait la jonction avec les FDS, lesquelles sont soutenues par la coalition anti-jihadiste dirigées par les États-Unis.

Pour Damas, l’objectif est d’empêcher les troupes turques de continuer d’avancer vers Manbij et de prendre le contrôle de la station de pompage d’eau d’al-Khafsa, cruciale pour alimenter Alep. Et cela a donné lieu à des frictions, comme à Tadef [sud d’al-Bab, ndlr], où forces syriennes et rebelles de l’ASL soutenus par Ankara ont eu un accrochage sérieux, le 26 février. Entre les deux parties, Moscou joue les médiateurs.

Mais la situation est autant compliquée qu’explosive. Ainsi, le 1er mars, le porte-parole du Conseil militaire de Manbij, Charfan Darouich, a affirmé que l’armée turque et les rebelles syriens qu’elle soutient ont attaqué des villages tenus par les FDS dans la région.

« Il y a eu une très grosse attaque par le Bouclier de l’Euphrate et l’armée turque contre des villages et des zones du Conseil militaire de Manbij. […] Les combats sont violents et les bombardements d’artillerie sont puissants », a confié M. Darouich à l’agence Reuters.

Qui plus est, selon la coalition anti-jihadiste, les FDS ont été bombardées par erreur par l’aviation russe près d’al-Bab. « Je crois que les Russes pensaient que (les villages) étaient occupés par l’EI », alors que ce n’était pas le cas, a expliqué le général américain Stephen Townsend, le commandant de l’opération Inherent Resolve. Les Russes ont été « prévenus via la la ligne de communication spéciale », puis ils ont arrêté les frappes, a-t-il ajouté.

Cela étant, à Moscou, on a démenti les frappes mais confirmé les échanges avec l’état-major de la coalition anti-jihadiste via la ligne spéciale. « Le représentant de l’US Air Force a exprimé son inquiétude que des avions syriens et russes frappent non intentionnellement des groupes contrôlés par les Américains, en voulant viser l’EI », a indiqué le ministère russe de la Défense. « Cette information a été prise en compte par le commandement russe. Il n’y a eu aucune frappe menée par l’aviation syrienne ou russe sur les endroits désignés par les Américains », a-t-il ajouté.

Quoi qu’il en soit, cela fait beaucoup d’acteurs aux intérêts divergents dans un périmètre aussi réduit… Et l’opération visant à chasser Daesh de Raqqa s’en trouve singulièrement compliquée.

Actuellement, les opérations sont menées par les FDS, avec le soutien de la coalition anti-jihadiste. Seulement, le 28 février, après avoir réaffirmé que le prochain objectif de ses troupes serait de prendre Manbij aux FDS, le président turc, Recep Tayyip Erdogan a fait part de l’intention d’Ankara de participer à l’offensive sur Raqqa, à la condition que les milices kurdes syriennes (YPG) en soient tenues à l’écart. « Si nos alliés sont vraiment sincères, nous leurs disons : ‘nous voulons travailler avec vous autant que nous pouvons pour nettoyer Raqqa de Daech' », a-t-il dit

Plus tôt, le Premier ministre turc, Binali Yildirim, avait prévenu : si les États-Unis choisissent de s’appuyer sur les milices kurdes syriennes pour reprendre Raqqa, alors cela « poserait un sérieux problème à nos relations avec Washington. » En clair, la Turquie, membre de l’Otan, pourrait revoir ses liens diplomatiques.

Le souci est que les FDS n’ont pas assez d’effectifs et de matériels pour envisager de prendre Raqqa à Daesh. En outre, étant donné les relations avec la Russie, fâcher la Turquie poserait un autre problème : celui du contrôle des accès à la mer Noire. Aussi, et alors que le Pentagone a soumis un plan au président Trump pour « éradiquer » la menace jihadiste en Syrie et en Irak, le chef d’état-major interarmées américain, le général Joseph Dunford, a expliqué, lors d’un forum, la semaine passée, que les options étudiées devaient prendre en compte l’importance de « l’allié turc » et faire en sorte que les « plans soient compatibles avec le maintien d’une forte alliance avec la Turquie. »

Cependant, dans le même temps, le général Votel, le patron de l’US Centcom, le commandement américain pour l’Asie Centrale et le Moyen-Orient, a estimé que les ֤États-Unis devaient se tenir prêts à « combler certaines lacunes » des FDS.

Car, visiblement, pour l’US Centcom, il sera difficile de se passer des miliciens kurdes étant donné que les FDS lui paraissent les mieux placées pour prendre Raqqa. Après une discrète visite du général Votel en Syrie, ce dernier n’a laissé aucun doute sur ce sujet en diffusant, via son compte Twitter, des photographies de combattantes kurdes « pour répondre à la demande populaire. »

Puis, le général Townsend a enfoncé le clou, le 2 mars. « Raqqa est une ville à majorité arabe, mais il y a des Kurdes originaires de Raqqa. Donc il y aura des Kurdes qui participeront à l’assaut », a en effet affirmé le chef de la coalition internationale. « Mais la taille de cette force [kurde], je ne peux pas dire. C’est toujours en cours de discussion », a-t-il ajouté.

Toujours d’après le général Townsend, les FDS, dont les milices kurdes représentent actuellement environ 40% des effectifs, sont « une force irrégulière d’infanterie légère, qui se déplace surtout sur des pick-ups », et qui a « très peu d’armes lourdes ». Aussi, a-t-il continué, si elles doivent être chargées de reprendre la ville, elles « auront probablement besoin de moyens de combats supplémentaires. »

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