Général de Villiers : Les réformes, « on a déjà donné, pour ne pas dire qu’on a déjà tout donné »

Le contexte actuel n’incite guère à l’optimisme, étant donné la dégradation accélérée de la sécurité internationale, avec notamment le terrorisme inspiré par les thèses islamistes radicales et le retour de la menace dite de la force, c’est à dire l’affirmation militaire de certains États-puissances qui, selon le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), « n’hésitent pas à tutoyer la ligne rouge ». Bref, si on ajoute les changements politiques observés ces derniers mois, nous sommes entrés dans un ère d’incertitudes et de doutes.

Alors que la France va entrer en campagne électorale, il serait irresponsable d’écarter ce sujet ô combien important pour se concentrer sur l’accessoire. Car cette dégradation de la sécurité internationale a évidemment des conséquences sur la politique menée en matière de défense, dans la mesure où les armées sont extrêmement sollicitées, que ce soit sur le territoire national (Sentinelle, posture permanente de sûreté) ou à l’extérieur.

Aussi, pour le général de Villiers, qui s’est exprimé devant les députés de la commission de la Défense, il est impératif de porter l’effort de défense à 2% du PIB d’ici 2022. Impératif pour au moins trois raisons.

La première est qu’il fait « boucher les trous », c’est à dire récupérer au plus vite les capacités qui ont été abandonnées temporairement à cause des contraintes budgétaires. Il s’agit, comme l’a expliqué le CEMA, de « redonner à nos soldats les conditions de soutien et de vie en cohérence avec les efforts demandés, que ce soit au plan logistique, de l’infrastructure ou des équipements individuels – et ce dès 2018. »

S’agissant des équipements, il y a urgence. « Les besoins sont multiples et vont croissant. Je pense aux drones, aux avions ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance), aux ravitailleurs – avions et bâtiments –, à la flotte de transport ou aux hélicoptères. Pour l’ensemble de ces capacités, nous sommes au bord de la rupture. Parfois, en tant que chef des opérations, je renonce à certaines cibles par incapacité, c’est-à-dire par insuffisance de capacités. Parfois, en tant que chef des opérations, je renonce à certaines cibles par incapacité, c’est-à-dire par insuffisance de capacités », a dit le général de Villiers. Et comme des exemples valent mieux que de longues phrases, il en a donné plusieurs.

Ainsi, actuellement « plus de 60 % des véhicules de l’armée de Terre engagés en opérations ne sont pas protégés ». Il n’est pas possible de continuer comme cela, a souligné le CEMA, qui a aussi cité l’âge canonique des avions-ravitailleurs, dont la disponibilité « conditionne notre aptitude à tenir la posture de dissuasion nucléaire, comme à projeter nos forces et à soutenir nos opérations aériennes. »

Le général de Villiers n’a pas oublié la Marine nationale, qui « voit le nombre de ses patrouilleurs outre-mer s’effondrer. » En effet, d’ici 2020, hors Guyane, « six sur huit auront été désarmés, et ne seront remplacés que plusieurs années plus tard. » Enfin, au-delà de cette échéance, d’autres réductions (ou ruptures) capacitaires sont à craindre, comme au niveau des « hélicoptères légers embarqués, dont le remplacement est prévu en 2028 seulement, les missiles air-air ou les camions lourds. »

Toujours au sujet des équipements, le CEMA a plaidé pour une hausse de 300 millions d’euros par an des crédits alloués à la recherche et au développement. « Sans cela, nous ne serons pas compétitifs, et nous ne serons pas au rendez-vous des évolutions technologique », a-t-il dit, après avoir cité la modernisation des deux composantes de la dissuasion nucléaire. Modernisation aussi indispensable que coûteuse, même si, in fine, elle bénéficiera à l’économie française.

Ces 2% du PIB doivent permettre de faire un effort « indispensable » au niveau des ressources humaines. Là, les armées peinent à se remettre des déflations de 50.000 postes planifiées entre 2008 et 2014. Et l’arrêt des suppression d’effectifs, décidé en novembre 2015 par le président Hollande, ne suffit pas « à restaurer la résilience de certains domaines, qui restent sous le seuil critique ».

Là encore, le général de Villiers a pris quelques exemples édifiants. « 20 % des pilotes de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) ne sont pas aptes ‘mission de guerre’, faute d’heures de vol; 40 % des sites de l’armée de l’air sont dépourvus d’escadron de protection. La population des fusiliers marins est sous extrême tension », a-t-il détaillé. Selon lui, il faudrait recruter environ 2.500 personnels de plus par an d’ici 2022, notamment pour « renforcer le domaine du soutien qui se trouve, désormais, en butée. »

Les infrastructures sont un autre domaine où il faudra investir. Ces dernières années, elles ont souffert des contraintes budgétaires. Résultat : « Si aucun chantier n’était entrepris, 79 centres de restauration sur 350 devraient fermer pour cause de non-conformité dans les trois ans qui viennent », a souligné le CEMA. Pour remettre les choses d’applomb, il faudrait, en plus, « 120 millions d’euros en 2018, 300 millions en 2019, et 500 millions en 2020. »

Ensuite, au vu du rythme opérationnel, le général de Villiers a estimé nécessaire de revoir les contrats opérationnels des armes, dépassés actuellement d’environ 25% à 30%. L’armée de l’Air, pour ne prendre qu’un seul exemple, devait être en mesure de ne déployer que 12 avions en permanence en opération extérieure : actuellement, une vingtaine sont engagés. Aussi, le CEMA souhaite une accélération du programmes Scorpion, BATSIMAR (patrouilleurs de la marine, ndlr) et FLOTLOG. Et, a-t-il ajouté, il est « indispensable de renforcer la composante ‘aviation de chasse’ de l’armée de l’Air. »

En outre, revoir à la hausse les contrats opérationnels suppose aussi d’en faire de même avec l’entraînement. Le nombre de jours de préparation opérationnelle est en baisse pour les trois armées, celui de la Marine nationale ayant chuté de 25%… Et moins de 60% des pilotes de transport sont « sont qualifiés à l’atterrissage sur terrain sommaire – mode d’action pourtant essentiel en premier mandat. » Aussi, pour le CEMA, il « y a désormais urgence à rétablir la cohérence entre engagement et préparation opérationnelle. »

À ces impératifs viennent d’ajouter des « points de vigilance », comme le moral (celui des militaires ET de leurs familles) ou la fidélisation des personnels, en particulier ceux ayant une spécialité de pointe ou traditionnellement déficitaire. Le CEMA en a cité un troisième : la sécurité et la protection.

« Compte tenu de l’élévation du niveau de la menace qui pèse sur nos emprises militaires, qui sont nombreuses, il faut veiller à garantir la résilience de nos armées en protégeant nos infrastructures. Ceci concerne la sécurité de nos pistes aéronautiques, la résilience des data centers et des alimentations électriques, la sécurisation de nos stocks de munitions en France et à l’étranger, ou encore la disponibilité des quais et des bassins portuaires. En réalité, toutes les emprises susceptibles d’être considérées comme des cibles de choix par les terroristes sont concernées », a-t-il énuméré.

En ces temps de campagne électoral, le général de Villiers a averti ceux qui, éventuellement, seraient tentés de penser que les armées auraient à faire de nouvelles économies pour trouver les ressources financières necessaires à leur modernisation.

« Pour ceux qui croient que nous pourrions encore réaliser des économies, que nous sommes en pleine réforme, que nous l’avons été sans discontinuer depuis 2008. Je conduis cette réforme depuis 2010, date de mon arrivée comme major général des armées, et nous allons continuer jusqu’en 2020, voire au-delà », a rappelé le CEMA. « Je serai franc : on a déjà donné, pour ne pas dire qu’on a déjà tout donné », a-t-il lancé. Et refuser cet effort de défense, ce serait « revoir nos ambitions à la baisse et accepter que nos priorités stratégiques ne soient bientôt plus que des prétentions stratégiques. »

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