Migrants : Les autorités italiennes s’interrogent sur la « prolifération anormale » d’ONG en Méditerranée

Si elle a permis d’avoir une connaissance plus fine des réseaux de passeurs de migrants opérant depuis le littoral libyen, l’opération navale européenne Sophia n’a en revanche pas atteint l’objectif pour lequel elle a été lancée, c’est à dire le « démantelement du modèle économique des réseaux de trafics de clandestins et de traite des êtres humains dans la partie sud de la Méditerranée centrale. » Et les flux migratoires à destination de l’Europe n’ont pas diminué, bien au contraire.

Dans leur récent rapport sur le rôle de la Marine nationale en Méditerranée [.pdf], les députés Alain Marleix et Jean-David Ciot soulignent que cette opération a obtenu l’effet inverse de celui était recherché.

Un « paradoxe de Sophia est que, mise en place pour contribuer au démantèlement des réseaux de passeurs, elle aboutit, à certains égards, à consolider leur activité en améliorant leur ‘offre' », écrivent-ils. Et d’ajouter : « Certes, l’opération a perturbé l’organisation des réseaux – bien que trop modestement – mais dans le même temps, pour les migrants, la présence des unités de Sophia constitue une garantie supplémentaire d’atteindre les rivages européens. Dans une certaine mesure, elle rend donc d’autant plus attractive l’offre des passeurs. »

En effet, l’opération Sophia n’étant pas autorisée à intervenir dans les eaux internationales libyennes, les trafiquants font prendre la mer à des migrants à bord d’embarcations de fortune ne disposant que du minimum d’essence. À charge ensuite aux navires militaires européens ou aux gardes-côtes italiens de les récupérer, conformément au droit de la mer. Environ 32.000 personnes en détresse ont ainsi été sauvées en 2016.

Cela étant, les navires de l’opération Sophia ne sont pas les seuls à intervenir. Des Organisations non gouvernementales (ONG), également présentes en Méditerranée centrale, prennent part à des missions de sauvetage. Et cela intrigue les autorités italiennes.

« Il y a une prolifération anormale d’ONG qui opèrent. Je ne parle pas des grandes organisations prestigieuses, mais de toutes les petites qui semblent avoir des moyens matériels sophistiqués, comme par exemple des drones. Cela coûte cher, et nous cherchons juste qui finance et pourquoi », a ainsi déclaré Carmelo Zuccaro, le procureur de Catane [Sicile], à l’AFP.

Pour le moment, aucune enquête n’est ouverte, « pour la simple et bonne raison que nous n’avons pas d’information sur un éventuel délit », a précisé le procureur italien, qui évoque seulement une étude du « phénomène » menée par le groupe de travail mis en place en octobre 2013 par le parquet de Catane pour analyser le trafic de migrants.

Cette interrogation sur le rôle de certaines ONG n’est pas nouvelle : Frontex, l’agence chargée de la surveillance des frontières de l’espace Schengen a accusé certaines d’entre elles de « collusion avec les passeurs », dans des rapports confidentiels évoqués en décembre dernier par le Financial Times.

Ainsi, selon le quotidien britannique, Frontex indique, dans ses rapports, que des passeurs ont eu « des indications claires avant le départ sur la direction précise à suivre pour atteindre les bateaux » de certaines ONG.

En outre, ayant constaté une baisse des appels de détesse des embarcations transportant des migrants, elle a conclu que ces ONG « sont de mèche avec les trafiquants. » Et toujours d’après la même source, il y aurait un cas où « réseaux criminels ont directement fait passer des migrants sur un navire d’une organisation non gouvernementale. »

Les responsables d’ONG ont réfuté ces accusations, comme Save the Children, Médecins Sans Frontières ou encore MOAS (Migrant Offshore Aid Station), une organisation maltaise. Son directeur, Antonino Parisi, a expliqué que les activités de cette dernière sont toujours menées « en coordination avec le Centre de coordination de sauvetage maritime italien à Rome, ainsi qu’avec toutes les unités de la marine présentes dans la région. »

Mais d’après une enquête du Daily Beast, tout n’est pas aussi limpide. Ainsi, le site d’informations a recueilli le témoignage d’un marin faisant partie de l’équipage d’un navire de sauvetage. Et, selon ses propos, la plupart des ONG « ont des contacts locaux sur le terrain, en Afrique du Nord, qui les avertissent lorsque de grosses embarcations prennent la mer ». Plus précisément, les passeurs « donnent une direction afin que nous puissions essayer de sauver des gens ».

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