La France va-t-elle partager sa souveraineté sur 285.000 km² de son domaine maritime?

Vous n’irez probablement jamais sur l’île de Tromelin. Intégré aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Ce territoire d’un kilomètre-carré de surface, battu par les vents, a été découvert en 1722 par un navire français de la Compagnie des Indes. Et la souveraineté de la France s’y est exercée sans aucune contestation jusqu’en 1976, année de l’indépendance de l’île Maurice, donnée par le Royaume-Uni.

Á première vue, l’île de Tromelin ne présente pas d’intérêt majeur et il ne servirait à rien de se battre pour un « confetti ». Sauf que son domaine maritime couvre une surface de 285.000 km², soit la moitié de celle la France métropolitaine et 2,8% de celle de l’ensemble de la zone économique exclusive (ZEE) française. Et ces eaux recèlent un potentiel important, notamment en raison de ses ressources halieutiques.

D’où l’intérêt de Port-Louis, qui fonde sa revendication sur une interprétation du traité de Paris du 30 mai 1814, en vertu duquel la France s’engageait à céder au Royaume-Uni l’île Maurice et « ses dépendances », dont Tromelin.

Pour autant, l’île Maurice n’a pas d’activité propre à la pêche : ses autorités se contentent de délivrer des licences à des navires étrangers, en particulier asiatiques, pour l’ensemble de sa zone économique exclusive. Seulement, ces derniers vont poser leurs filets dans les eaux de Tromelin et certains en profiteraient pour capturer des requins, ce qui est interdit.

Cela étant, dans les années 1990, le président François Mitterrand tenta de trouver une solution à ce différend territorial avec Port-Louis. Mais les discussions ne donnèrent rien. Puis, en décembre 1999, à l’occasion d’un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Commission de l’océan Indien (COI), un accord fut trouvé. Ce texte stipulait que, « en l’absence d’un consensus entre certains États membres concernant la souveraineté sur certaines îles de l’océan Indien », ces « zones de contrôle seront cogérées par les pays qui les revendiquent ». Et d’ajouter : « Les modalités de cette cogestion seront définies par les États membres concernés dans les plus brefs délais. »

Mais ce n’est qu’en 2010 qu’un accord fut trouvé entre Paris et Port-Louis pour « établir un régime de cogestion économique, scientifique et environnementale relatif à l’île de Tromelin ainsi qu’à sa mer territoriale et à sa zone économique exclusive. » Restait donc à la ratifier. Trois ans plus tard, le texte fut soumis à l’Assemblée nationale. Et devant la levée de boucliers qu’il suscita, grâce notamment à l’action du député (UDI) Philippe Folliot, le gouvernement estima qu’il était plus sage de le présenter ultérieurement.

Et c’est ainsi que ce accord fera de nouveau l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale, le 18 janvier prochain. Et, comme précédemment, il est loin de faire l’unanimité.

Pour le député Folliot, toujours vent debout contre ce projet, ce texte est « scandaleux » parce qu’il « cède une partie de notre territoire sans aucune contrepartie » et remet en cause le concept d’une République « Une et indivisible », « dangereux » car il « ne mettrait pas fin aux revendications de l’île Maurice et créerait un précédent redoutable » et « unilatéral et déséquilibré » dans le mesure où ce « traité ne prévoyant aucune forme de réciprocité ou contrepartie pour la France, notre pays serait perdant sur tous les plans. »

Pour le député, qui lancé une pétition, la « ratification de ce traité ne peut que justifier, légitimer et accroître les revendications, plus ou moins ouvertes, d’autres pays sur les autres îles françaises du secteur, dites ‘îles Eparses' ». Et les enjeux sont importants car la zone serait riche en hydrocarbures, avec des réserves aussi importantes qu’en Mer du Nord.

Aussi, juge-t-il, « le précédent de Tromelin ne pourrait que raviver l’intérêt de l’Afrique de Sud et de l’Australie pour nos précieux territoires des Terres Australes » et la ratification du traité « marquerait ainsi le début du démantèlement de notre domaine maritime » et « la fin de la singularité française, que certains politiques à courte vue s’obstinent encore à croire continentale et européenne » alors qu’elle « est en réalité maritime et mondiale. »

Le sort de Tromelin inquiéte même le MEDEF. Pour l’organisation patronnale, si l’accord est ratifié, alors cela serait de nature à créer « un précédent » et remettre en cause « de la souveraineté de la France sur d’autres îles, menaçant ainsi sa Zone Economique Exclusive, véritable atout de notre pays dans la compétition mondiale. »

Aussi, le MEDEF demande aux députés de « veiller, par toutes les expertises et les concertations avec les acteurs économiques nécessaires, à ce que la France ne se prive pas d’un potentiel économique et de créations d’emplois avant de ratifier cet accord. »

Du côté du gouvernement, on se veut rassurant. « Il ne saurait être question de mettre en cause la souveraineté de la France. Rien dans la mise en oeuvre de cet accord ne peut constituer une base de contestation de notre souveraineté. Toutes les garanties juridiques ont été prises », a fait valoir Mathias Fekl, le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, lors de la séance des questions d’actualités, le 11 janvier, à l’Assemblée nationale.

Cette explication est identique à celle donnée par Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, en janvier 2012, ce dernier ayant, dans l’exposé des motifs du projet de loi autorisant la ratification de cet accord, évoqué « une démarche pragmatique et novatrice visant à dépasser le différend territorial qui oppose la France et Maurice sur Tromelin, en établissant un partenariat actif qui doit permettre le renforcement des liens d’amitié et de bon voisinage entre les deux pays. »

Plus : La pétition lancée par le député Philippe Folliot : « L’île de Tromelin doit rester française !« 

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]