Face à la concurrence, la consolidation du secteur européen de l’armement naval semble inéluctable

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Le marché de l’armement naval a une particularité : hormis les systèmes de combat,  les industriels américains y sont relativement peu présents, notamment sur le segment des sous-marins, ce qui, jusqu’à présent, a laissé le champ libre à leurs homologues européens.

« Si les Américains sont présents sur toutes les offres occidentales, en dehors des offres françaises, concernant les systèmes de combat […], ils sont quasiment absents du marché des navires militaires », a en effet souligné Patrick Boissier, le président du groupement des industries de construction et activités navales, lors d’une audition récente à l’Assemblée nationale.

Cela s’explique par le fait que les systèmes américains sont « si sophistiqués et complexes qu’aucune marine susceptible d’acheter n’est en mesure de les utiliser » et que les navires produits outre-Atlantique sont « très chers, car la compétitivité-coût de l’industrie navale américaine est nettement moins bonne que celle de l’industrie navale européenne. »

Cependant, les choses sont en train d’évoluer rapidement, en raison de la concurrence de nouveaux acteurs sur ce marché. « Nous trouvons aujourd’hui les Chinois en Argentine, au Bangladesh, au Nigéria, au Pakistan – d’où ils viennent de nous sortir, sur un marché de sous-marins –, en Thaïlande. Nous trouvons les Coréens en Amérique latine, en Thaïlande, en Indonésie, les Russes en Inde, au Moyen-Orient, au Vietnam. Tous ces gens ont des appétits de parts de marché mondiales, ce que nous n’avions jamais vécu jusque-là », a expliqué Hervé Guillou, Pdg de DCNS et vice-président du GICAN.

Certains de ces nouveaux acteurs réalisent des chiffres d’affaires importants, comme OSK (Russie) ou encore CSCC (Chine), ces deux industriels ayant chacun encaissé des recettes supérieures à 4 milliards de dollars l’an passé. Et ils rafflent des parts de marché en usant de ficelles qu’il est difficile de contrer quand on respecte les règles internationales en matière de corruption.

« Il est clair que tous nos concurrents ne respectent pas cette règle. Je ne crois pas que nous puissions en dire beaucoup plus », a en effet souligné M. Boissier, en réponse à une question sur les pratiques commerciales.

Dans le même temps, certains clients « traditionnels » de l’industrie navale européenne, et en particulier française, connaissent quelques difficultés à cause de la baisse du prix du pétrole (qui ne devrait pas durer, cela dit…). C’est ainsi le cas des monarchies du Golfe mais aussi de la Malaisie et du Brésil.

Aussi, pour faire face à la fois aux risques cycliques et ce « grand changement » incarné par l’apparition de nouveaux concurrents sur le marché, M. Boissier a posé la question de la consolidation de l’industrie navale européenne. « L’Europe peut-elle continuer de faire face à cette concurrence en ordre dispersé? », a-t-il demandé.

Le Pdg de DCNS y semble ouvert. « Aujourd’hui, de la consolidation de nos ressources dépend la survie de l’industrie, sa capacité à résister aux nouveaux entrants », a-t-il fait valoir.

Toutefois, avec qui DCNS pourrait nouer une alliance? Il y aurait moins trois candidats possibles. Le premier serait l’allemand TKMS, avec lequel le constructeur français est en compétition pour livrer des sous-marins aux forces navales norvégiennes et polonaises.

« Le cas de la Norvège va de nouveau poser une question existentielle : allons-nous nous lancer dans une lutte à mort pour la Norvège, puis pour la Pologne ? Il ne faut pas hésiter à ouvrir le débat, de manière totalement dépassionnée », a estimé M. Guillou. Cependant l’industriel allemand, qui se trouve actuellement dans une mauvaise passe après avoir perdu le contrat australien face à DCNS, « ne donne aucun signe d’ouverture », a noté M. Guillou.

Deux autres candidats sont possibles : Fincantieri et Damen, lesquels sont intéressés par la reprise du chantier STX France de Saint-Nazaire, jugé stratégique car indispensable pour construire des navires militaires de grande taille, c’est à dire de plus de 15.000 tonnes.

« Très faible en ce qui concerne les sous-marins, pour la construction desquels il dépend d’un transfert technologique, il dispose en revanche d’une gamme très étendue de bâtiments de surface. C’est contre lui que nous avons perdu le contrat qatari. Là aussi, on a tué nos marges! », a expliqué M. Guillou, au sujet du constructeur naval italien.

Quant au néerlandais Damen, le Pdg de DCNS a souligné qu’il est « moins présent dans le domaine des bateaux militaires de premier rang » et qu’il est « associé aux États-Unis » pour ce qui concerne les systèmes de combat. « C’est un concurrent très sérieux à l’export », a-t-il ajouté.

Pour le moment, Hervé Guillou se dit « ouvert » et affiche une position « très clair ». Fort de son expérience passée chez EADS [aujourd’hui Airbus, ndlr], il est « convaincu les pièces du puzzle ne s’assemblent jamais de la manière escomptée. »

Et d’ajouter : « Les fenêtres d’exécution – car la stratégie est d’abord un art d’exécution – étant très restreintes si l’on veut tenir compte des échéances politiques, des durées de vie des PDG, des échéances commerciales ou de programmes, il faut avoir plusieurs options à disposition, suffisamment approfondies pour pouvoir être mises en œuvre très rapidement dès que l’alignement des astres le permet. »

Photo : Yann Gwilhoù — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

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