Après la refonte du porte-avions Charles de Gaulle, le maintien de certaines compétences sera compliqué

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À force de rogner sur le budget de la Défense sans que cela ait eu le moindre effet sur le montant de la dette publique (passé, entre 2004 et 2016, de 64,9% à 96,1% du PIB), l’on se trouve maintenant dans une situation où de nombreux programmes d’équipements critiques restent encore à financer.

Par exemple, pour la Marine nationale, il est devenu urgent de lancer le programme BATSIMAR (bâtiment de surveillance et d’intervention unique) qui, destiné à renouveler la flotte de patrouilleurs hauturiers, a régulièrement renvoyé aux calendes grecques, avec le risque de « ruptures temporaires de capacité », alors que la France dispose de second domaine maritime mondial.

« Le nombre de nos patrouilleurs en service est à peu près l’équivalent de deux voitures de police pour surveiller le territoire de la France », a commenté Patrick Boissier, le président du groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), lors d’une audition à l’Assemblée nationale.

Pas moins important que le précédent, le programme FLOTLOG doit aussi être impérativement lancé à court terme. Il est « indispensable en raison de l’ancienneté des trois pétroliers ravitailleurs en activité, qui ne seront bientôt plus capables de remplir leurs missions », a souligné M. Boissier. Et sans pétrolier-ravitailleur, il sera compliqué d’envoyer un groupe aéronaval en mission…

D’ailleurs, le lancement des travaux pour un nouveau porte-avions est tout aussi essentiel. Faute de quoi, l’industrie navale française risque de perdre des compétences clés pour construire de tels navires.

« Il faut au moins dix ans pour faire un porte-avions ; il n’est pas trop tôt pour y penser. Le Charles-de-Gaulle sera retiré du service vers 2040. Il faut commencer à travailler sur le porte-avions du futur, si nous ne souhaitons pas perdre les compétences de DCNS et des équipementiers pour réaliser un porte-avions », a en effet avancé M. Boissier.

Le problème se posera après la refonte, à mi-vie, du Charles-de-Gaulle, en particulier pour les compétences critiques dites « orphelines ». Ainsi, a expliqué Hervé Guillou, vice-président du GICAN et Pdg de DCNS, l’une d’entre-elles concerne « les installations d’aviation des porte-avions ».

En effet, après la refonte du Charles-de-Gaulle, « nous n’aurons plus rien pour occuper les équipes gérant l’installation d’aviation, sauf de l’entretien courant », a expliqué M. Guillou. Or, a-t-il ajouté, « si nous voulons un jour un autre porte-avions, nous ne pouvons nous permettre de perdre des capacités de maîtrise des systèmes embarqués. »

Un autre exemple de ces compétences dites orphelines porte sur la propulsion nucléaire. « Nous ne trouverons pas de marché pour entretenir ces compétences et, si nous voulons être capables de reconstruire un jour un porte-avions nucléaire, Areva TA et nous-mêmes avons besoin d’entretenir ces compétences avec de vrais projets et pas seulement des études », a fait valoir le vice-président du GICAN.

Cela étant, M. Guillou ne se fait aucune illusion : « Au point où nous en sommes, a-t-il dit, il importe peu que l’on construise le deuxième porte-avions en 2020 ou en 2025 : la rupture interviendra avant. Elle est assurée au deuxième semestre 2018 », en particulier pour « tout ce qui concerne les installations d’aviation. »

Aussi, les études sur ce deuxième porte-avions devront quand même lancées sans tarder, c’est à dire en 2020-2022, s’il doit être mis en service en 2033 ou 2035. « Mais il faut tenir d’ici là! Voilà pourquoi je souhaite que, dès cette LPM [Loi de programmation militaire, ndlr], des flux d’activités soient prévus, qui ne doivent pas se limiter à la réalisation d’études papier : il y va de notre capacité à construire des objets complexes aux normes de sûreté modernes », a fait valoir M. Guillou.

Car, a-t-il souligné, pour garder du personnel compétent, encire faut-il qu’il fasse des « choses ». Et « ce n’est pas en 2020 ou en 2022 qu’il faudra se poser cette question ! Si nous ratons la fenêtre de 2018, nous nous exposerons à de gros problèmes par la suite. C’est le point critique », a-t-il estimé.

Par ailleurs, le Pdg de DCNS a soulevé un autre problème : le manque de chaudronniers. L’industrie navale peine en effet à en recruter, tout simplement parce que le système éducatif d’en forme pas assez.

« Nous avons alors le choix entre deux mauvaises solutions : soit on fait fabriquer des morceaux entiers de nos navires en Estonie ou en Roumanie, soit on importe des travailleurs étrangers, ce qui est toujours compliqué à gérer. Il faut donc redémarrer un cycle et un pipeline de formation », a-t-il dit.

Aussi, DCNS et le GICAN ont pris des initiatives pour répondre à ce besoin spécifique (on parle du recrutement de 300 chaudronniers par an), alors que l’offre « sur le marché est complètement dispersée, entre trente ou quarante systèmes de formation professionnelle. »

Dans un premier temps, il s’agit de « redonner de l’attractivité aux filières industrielles, aujourd’hui vécues dans l’Éducation nationale comme des filières d’échec » et de miser sur « l’ascenseur social », la « fragmentation du système éducatif ayant supprimé toute continuité entre les professions ouvrières et les techniciens. » Une nécessité pour M. Boissier car « nous sommes obligés d’embaucher de jeunes ingénieurs à l’extérieur, qu’il faut reformer, plutôt que de recruter des techniciens maison » et que « ce n’est pas compétitif ».

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