Un « moine guerrier » nommé à la tête du Pentagone

mattis-20161202Peu à peu, la future administration américaine prend forme. Ainsi, en matière de sécurité et de défense, Donald Trump, qui succédera à Barack Obama en janvier prochain, a déjà nommé l’ex-général Michael Flynn au poste de conseiller à la sécurité nationale et le « faucon » Mike Pompeo à la CIA.

Ancien directeur de la DIA (Defense Intelligence Agency, le renseignement militaire), le général Flynn est très critique à l’égard des interventions américaines en Afghanistan et en Irak. « Des erreurs dramatiques ont été commises. La principale a été l’incapacité à comprendre ceux que nous venions aider. Nous avons essayé d’imposer nos valeurs, notre mode de vie, nous avons tenté de faire du nation-building au lieu de simplement combattre l’ennemi et permettre aux populations d’avoir l’État de leur choix », a-t-il confié au journaliste Antoine Vitkine, en mai dernier.

Mais le général Flynn, qui a quitté la DIA en raison, dit-il, de désaccords avec l’administration Obama sur la conduite à tenir en Syrie, est aussi connu pour ses propos polémiques sur l’islam. « Nous avons un problème majeur, que personne ne veut reconnaître, à cause du politiquement correct : c’est l’islam. Cette religion est un problème. Je ne parle pas du monde musulman, mais de l’islam », croit-il. Enfin, plaidant pour un soutien accru à Israël (mais aussi à l’Égypte), il est de ceux qui ont dénoncé l’accord sur le programme nucléaire iranien.

Tout comme Mike Pompeo. Ce major de la promotion 1986 de l’académie militaire de West Point qui quitta l’uniforme 5 ans plus tard pour entamer des études de droit à Harvard était un membre de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, où il a su gagner l’estime de ses adversaires politiques. Et pour lui, l’Iran est la source de l’instabilité au Moyen-Orient.

« Vous pouvez retracer l’origine d’une grande partie de la volatilité actuelle du Moyen-Orient, et de la série d’innombrables problèmes qui s’y posent, à la révolution iranienne de 1979 », a-t-il en effet déclaré en décembre 2015. « J’ai hâte de voir repousser cet accord désastreux avec le plus grand Etat financeur du terrorisme », a-t-il encore récemment affirmé au sujet du programme nucléaire iranien.

Et celui qui devrait être le prochain chef du Pentagone est sur la même ligne. En effet, le 1er décembre, Donald Trump a annoncé qu’il nommerait le général James Mattis, alias « Mad Dog », « Chaos  » et « Warrior Monk » [moine guerrier, ndlr] au poste de secrétaire à la Défense.

« Je considère que l’État islamique (EI ou Daesh) n’est rien de plus qu’un prétexte pour l’Iran de poursuivre ses méfaits. L’Iran n’est pas un ennemi de l’EI et il a beaucoup à gagner avec l’agitation que l’EI crée dans la région », a-t-il ainsi estimé dans les colonnes du Washington Examiner, en avril 2016. En outre, il considère que l’accord sur le nucléaire iranien est mauvais dans la mesure où, selon lui, les inspections « risquent de ne pas empêcher Téhéran de développer des armes nucléaires », au plus permettront-elles « d’avoir de meilleures coordonnées des cibles dans le cas d’un possible combat futur. » Le ton est donné.

Par ailleurs, la nomination du général Mattis, issu de l’US Marine Corps, risque de bousculer les habitudes au Pentagone. En tout cas, sa personnalité le suggère. Cet homme de terrain qui peut lire du Marc Aurèle sur un théâtre d’opérations, a été quasiment de toutes les interventions militaires américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale depuis 1991. C’est d’ailleurs ainsi qu’il s’est fait une réputation.

Aussi, le général Mattis connaît bien l’Irak pour y avoir commandé la 1st Marine Division et participé aux opérations menées en 2004 à Falloujah (« Resolve Vigilant » en avril et « Phantom Fury » en novembre). Après un temps passé au Commandement Allié Transformation (ACT) de l’Otan, il a terminé sa riche carrière militaire à la tête l’US CENTCOM, le commandement militaire américain pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

Le général Mattis est « l’un de nos plus grands combattants et stratèges militaires », avait dit de lui, en 2010, Robert Gates, alors secrétaire à la Défense.

Célibataire et sans enfant, le général Mattis est un féru d’histoire militaire, au point que sa bibliothèque compterait pas moins de 7.000 ouvrages. De là vient son surnom de « moine guerrier ». En outre, il n’est pas un « fou de guerre » : « Chaque fois que vous montrez de la colère ou du dégoût envers les civils, c’est une victoire pour al-Qaïda et les autres insurgés », a-t-il dit à ses hommes.

En outre, pour lui, la réflexion doit primer sur le reste. « Utilisez votre cerveau avant d’utiliser votre arme », a-t-il ainsi lancé à ses troupes. « Les 6 pouces [15 cm, ndlr] les plus importants sur le champ de bataille sont entre vos deux oreilles », a-t-il également dit, s’inscrivant ainsi dans la lignée d’un maréchal Lyautey (« Quand les talons claquent, l’esprit se vide »). Et, pour lui, un militaire doit toujours chercher à apprendre. D’où ses listes de livres à lire envoyées à ses subordonnés, qu’ils soient colonels ou caporaux.

Mais le général Mattis a aussi pu tenir certains propos peu « politiquement corrects ». « Soyez polis, soyez professionnels, mais gardez en tête un plan pour tuer toutes les personnes que vous pouvez avoir l’occasion de rencontrer », a-t-il aussi recommandé à ses troupes. Ou encore, s’adressant à des recrues : « La première fois que tu descends quelqu’un, ce n’est pas rien, c’est le moment où tu réalises qu’il y a des trous de balle dans le monde qui ont besoin d’être refroidis. »

Cela étant, le général Mattis va-t-il réussir à réformer le Pentagone, et surtout sa bureaucratie? (« PowerPoint nous rend stupides » a-t-il dit). Rien n’est moins sûr… Sa nomination peut toutefois poser quelques réserves.

En effet, étant donné qu’il n’a quitté l’uniforme que très récemment [en 2013, ndlr] et en raison de ses états de service ainsi que de sa réputation, James Mattis risque faire de l’ombre au chef d’état-major interarmées, le général Joseph Dunford, issu, comme lui, de l’US Marine Corps.

En outre, avec deux « Marines » aux postes les plus importants du Pentagone, il n’est pas impossible que les autres branches de l’armée américaine puissent en prendre ombrage, notamment quand il s’agira d’arbitrer les priorités budgétaires. Et là, James Mattis saura-t-il éviter une « guerre des boutons »?

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