Le duel Juppé/Fillon sur les questions militaires

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Le verdict est donc tombé : Alain Juppé et François Fillon sont qualifiés pour le second tour de la primaire de la droite et du centre. Au cours de l’été dernier, l’un et l’autre ont publié un programme relativement fourni en matière de politique de défense. Si les deux hommes ont fait des propositions relativement proches, ils ont cependant quelques divergences sur des questions clés qui peuvent être lourdes de conséquences.

 

1- Le budget

Aussi bien M. Juppé que M. Fillon ont fixé comme l’objectif de porter le montant le budget de la Défense à 2% du PIB. Ce qui est une nécessité compte tenu des besoins importants et prioritaires exprimés par les armées. Cela étant, cette cible ne devrait pas être atteinte lors du prochain quinquennat, l’échéance qu’ils donnent tous les deux étant 2025.

En outre, reste à s’entendre sur le périmètre de ces 2% du PIB. Faut-il y intégrer les pensions ou non? Aucun des deux n’est explicite sur cette question. Dans un entretien à l’Opinion, M. Fillon a ainsi affirmé qu’il entendait porter, après un audit des besoins financiers des armées, les dépenses militaires à 1,9% du PIB en 2022, « contre 1,8% aujourd’hui ». Or, ce chiffre de 1,8% prend justement en compte les pensions…

Pour M. Juppé, il est question d’un augmentation des crédits de la Défense, en « valeur absolue », d’au moins 7 milliards d’euros en 2022. « Il faut donner à nos forces les moyens d’atteindre les objectifs » sans « non plus promettre des augmentations irréalistes du budget de la défense », a-t-il estimé.

 

2- Renouvellement des équipements militaires et de la dissuasion nucléaire

Accélérer le renouvellement des équipements « militaires de premier rang », est une nécessité soulignée par les deux finalistes de la primaire de la droite et du centre. Cela étant, aucun candidat se voulant sérieux n’aurait dit le contraire… Mais l’on notera que M. Fillon insiste sur la dissuasion nucléaire dans son programme disponible sur son site Internet alors que, s’agissant de cette question, M. Juppé est plus discret sur le sien.

Cependant, en juillet, dans son cahier « défense », le maire de Bordeaux avait souligné que « ayant pour objet de nous protéger contre toute agression visant nos intérêts vitaux, la dissuasion nucléaire reste et restera la garantie ultime de notre sécurité et de l’indépendance de la Nation. »

 

3- Condition militaire et lien armée-nation

Les deux candidats ont fait quelques propositions pour améliorer la condition militaire ainsi que le lien entre l’armée et la nation. L’un et l’autre n’ont pas exprimé des options radicalement différentes sur ces sujets. Ils sont en effet d’accord pour favoriser la reconversion des anciens militaires, le développement de l’esprit de défense et la transmission de la mémoire combattante.

Par ailleurs, MM. Fillon et Juppé sont hostiles au rétablissement du service militaire obligatoire, une idée pourtant avancée par plusieurs candidats du premier tour de la primaire.

Cela étant, pour ce chapitre, c’est l’ancien Premier ministre du président Sarkozy qui a fait le plus de propositions précises, comme la réorientation des crédits de rénovation urbaine pour améliorer l’état des casernes, une meilleure intégration des personnels militaires féminins et la mise en place d’un « dispositif de reconnaissance des compétences basé sur l’expérience professionnelle des militaires. »

Quant à M. Juppé, qui s’était attiré une volée de bois vert après avoir déclaré qu’un « militaire, c’est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s’en va », il veut « favoriser l’expression des militaires en valorisant leur contribution à la réflexion sur les questions stratégiques et de défense » et « garantir une prise en compte équitable des sujétions particulières et des spécificités du statut militaire. »

Enfin, les deux finalistes de la primaire misent sur le développement de la réserve opérationnelle. Mais, en la matière, leurs propositions tombent à plat puisque la Garde nationale, qui doit compter 85.000 volontaires d’ici 2018, est d’ores et déjà en place, soit bien au-delà des 60.000 proposés par M. Juppé.

 

4- Les armées et le territoire national

Pour M. Fillon, les choses sont claires : l’opération Sentinelle ne doit pas être pérennisée. « L’armée de Terre doit revenir à ses missions, c’est-à-dire se préparer aux guerres extérieures. Et s’il faut demain renforcer les moyens militaires pour la sécurité intérieure, c’est autour de la gendarmerie qu’il faudra le faire », a-t-il déclaré dans les colonnes du quotidien L’Opinion.

La position de M. Juppé est plus nuancée. Dans son cahier « Défense », édité l’été dernier, il y est écrit : « Les conditions d’intervention des armées sur le territoire national doivent donc être aujourd’hui clarifiées afin d’éviter une confusion des rôles préjudiciable tant aux forces de sécurité intérieure qu’aux forces militaires (…). Il est urgent de mettre au point, face à la menace terroriste, un concept d’emploi des militaires sur le territoire national qui aille au-delà des réflexions déjà engagées, selon des modalités correspondant davantage à leur mode d’action et qui s’inscrivent dans une logique d’effets à atteindre. »

Cela étant, les deux candidats sont d’accord pour restaurer les capacités de surveillance maritime dans les DOM-TOM, ces dernières risquant, à partir de 2020, un réel déficit capacitaire, faute d’avoir renouvelé à temps les patrouilleurs hauturiers de la Marine nationale.

Cependant, et l’on ne comprend pas trop pourquoi, M. Fillon semble opposer, dans son programme, les patrouilleurs de haute-mer et les avions de patrouille maritime. Or, l’un ne va pas sans l’autre…

 

5- Une industrie de la défense à conforter

Les deux candidats sont évidemment d’accord pour maintenir une industrie française de l’armement forte. Il faut « préserver notre outil industriel de défense par une politique dynamique de commandes et de soutien à l’exportation », pour M. Juppé, qui insiste sur la recherche et le développement, tout comme M. Fillon.

Pour le premier, il faut assurer un « budget de recherche et développement suffisant pour préserver les compétences indispensables à notre industrie de défense et maintenir l’excellence française sur des segments-clés (intégration de systèmes complexes, aéronautique de combat, sous-marins, radars NG,…) » et « créer un fonds dédié à l’investissement dans les start-up et les PME développant des technologies innovantes intéressant la défense. »

Le second est moins précis sur ce point, si ce n’est qu’il estime nécessaire de se « focaliser sur les secteurs prioritaires comme l’intelligence artificielle, les robots, les lasers » ainsi que sur les applications civilo-militaires. En outre, il veut élargie le concept de « base intelligente », récemment mis au point par l’armée de l’Air, afin de « développer des capacités d’innovation et de veille technologique tant au profit de nos armées que des industriels ». Et d’ajouter : « Ce concept doit aussi permettre d’améliorer la capacité opérationnelle de nos forces tout en constituant un incubateur de projets innovants. »

 

6- Vers un bouleversement pour le renseignement?

S’il évoque les menaces dans le cyberespace dans son cahier « Défense », M. Juppé ne fait pas de propositions aussi précises que M. Fillon dans ce domaine, ce dernier ayant proposé la création d’une « cinquième armée chargée de la Défense dans l’espace numérique, en renforçant notamment nos capacités offensives. » Or, le contre-amiral Arnaud Coustillière, en charge de la cyberdéfense à l’État-major des armées (EMA), ce serait une « fausse bonne idée ». « Je doute que ce soit une bonne solution à court terme parce que nous risquons alors de perdre en cohérence en sortant les spécialistes des différentes armées, en provoquant une telle cassure », avait-il en effet expliqué, lors d’une audition à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, et lors des trois debats organisés avant le premier tour de la primaire de la droite et du centre, M. Fillon a fait part de son intention de faire fusionner les différents services de renseignement en les réorganisant en deux pôles : intérieur et extérieur. Seulement, ceux relevant du ministère de la Défense n’ont pas tous la même mission et cette proposition a de quoi laisser dubitatif…

 

7- Une divergence fondamentale : l’évalution des menaces

M. Fillon est le Premier ministre qui a engagé la responsabilité de son gouvernement pour faire entrer à nouveau la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan, une organisation qu’elle n’a jamais quitté, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là. L’idée était, a-t-il expliqué, « de rassurer nos alliés afin de faire avancer la défense européenne ». Et, quasiment dans le même temps, la France a vendu deux Bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie, pays qui considérait déjà l’Otan comme une menace « fondamentale », bien avant celle représentée par l’expansion du jihadisme dans le caucase.

Or, pour M. Fillon, ce qu’il appelle le « totalitarisme islamique », qui a déjà frappé plusieurs fois en France, est la menace des menaces. Ce qui justifie, selon lui, un rapprochement avec la Syrie, l’Iran et la Russie, quitte à lever les sanctions imposées à cette dernière suite à l’annexion de la Crimée, annexion qui a remis en cause l’architecture sécuritaire qui prévalait jusqu’alors en Europe, et à faire fi des intimidations dont plusieurs pays membres de l’Union européenne font état depuis maintenant plusieurs années. Sans doute espère-t-il qu’elles cesseront si les Occidentaux se montrent plus conciliants à l’égard de Moscou…

L’analyse de M. Juppé est toute autre. « Les attentats dont la France a été victime en 2015 ont conduit à focaliser les problématiques de défense et de sécurité sur le terrorisme d’origine islamiste. Si urgente et grave que soit cette question, il importe de la mettre en perspective et de considérer l’ensemble des menaces avérées ou probables auxquelles notre pays, seul ou avec ses alliés, devra faire face dans les années à venir. La construction d’un outil de défense est en effet une œuvre de longue haleine pour laquelle la prise en compte des ennemis d’aujourd’hui ne doit pas occulter celle des ennemis de demain », est-il écrit dans son cahier « Défense ».

Or, poursuit-il, « du Grand Nord et de la Baltique jusqu’aux rives atlantiques de l’Afrique en passant par la mer Noire et le Moyen-Orient, tout le pourtour de l’Europe est aujourd’hui le théâtre de crises ouvertes ou de tensions susceptibles de dégénérer. Les effets de ces abcès de fixation durables – attentats terroristes, vagues migratoires massives, trafics en tous genres, ou, à l’Est, menaces de déstabilisation – rejaillissent directement sur la sécurité de tous les pays européens. »

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