Quelles seront les priorités des armées avec un budget de la Défense porté à 2% du PIB?

 

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Porter le budget de la défense à 2% du Produit intérieur brut (PIB) fait désormais consensus au sein de la classe politique française. Mais encore faut-il s’entendre sur le périmètre de cet effort. Selon la norme V1 de l’Otan, ce dernier doit en effet prendre en compte les pensions, ce qui amoindrit évidemment sa portée, avec une différence de 0,3% environ.

Ainsi, par exemple, le budget de la Défense français, selon la norme V1 de l’Otan, a été de 39,2 milliards d’euros en 2014 (1,8% du PIB). Et, en ne prenant pas en compte les pensions (norme V2 de l’Otan), on tombe à 31,4 milliards (1,5% du PIB). Entre les deux modes de calcul, il y a donc un écart de 7,8 milliards, soit quasiment l’équivalent du coût de deux porte-avions.

Une fois le périmètre défini, le rythme donné à la hausse du budget de la Défense sera aussi important. Atteindre les 2% du PIB le plus tôt possible donnera évidemment plus de marges de manoeuvres aux forces armées, d’autant plus que les dépenses de personnels, seront plus élevés que prévu en raison de l’arrêt des déflations d’effectifs au sein des armées.

Maintenant, quels seront les besoins financés par cette augmentation attendue des dépenses militaires? Dans son rapport pour avis sur le programme 146 « Équipements des Forces », le député Jean-Jacques Bridey a fait un tour d’horizon des priorités exprimées par les états-majors des trois armées ainsi que par la Direction générale de l’armement.

Quand les fins de mois sont difficiles, la tentation est grande de se « lâcher » quand on reçoit une rentrée d’argent importante, surtout quand des achats ont dû être reportés depuis longtemps. Et c’est un peu l’impression que l’on ressentir à la lecture du rapport de M. Bridey.

Ainsi, l’état major de l’armée de Terre (EMAT) a donné 7 priorités. La première serait d’accélérer le programme SCORPION, afin d’équiper 3 brigades interarmes en 2025 au lieu d’une avec de nouveaux véhicules et « compléter les cibles de VBMR légers [Véhicule blindés multirôles]. Cette accélération, qui est possible selon Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), offirait « un triple gain financier ».

En effet, explique le député, les coûts de structure seraient limités par un effet de cadence, il y aurait « moins d’obsolescences industrielles à traiter en cours de programme » et un gain de 30% sur les coûts de Maintien en condition opérationnelle (MCO) pourrait être envisagé, « compte tenu du coût croissant de la maintenance des matériels vieillissants. »

Autres priorités de l’armée de Terre : « consolider » les programmes de véhicules légers de transport de personnes, de porteur polyvalent terrestre et de poids lourd, porter le financement annuel à hauteur de 300 millions d’euros des équipements dits de cohérence, compléter ses capacités C4ISR (Computerized Command, Control, Communications – Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) avec des radars 3D, des drones tactiques et des stations de communication mobiles par satellite supplémentaires, renforcer les capacités d’interventions avec l’acquisition de chars Leclerc rénovés supplémentaires et de 32 CAESAR ainsi que le renouvellement des engins blindés du génie.

Enfin, l’EMAT a également insisté, parce que c’est un point extrêmement important, si ce n’est crucial, sur l’augmentation des crédits alloués à l’entretien programmé des hélicoptères ainsi que la poursuite de la transformation des capacités d’aérocombat, avec, en particulier, la mise à la disposition de ses forces spéciales d’hélicoptères Caïman adaptés.

Quant à la Marine nationale, elle souhaiterait disposer de davantage de frégates dites de « premier rang », alors que le Livre blanc sur la défense publié en 2013 a fixé leur nombre à 15 seulement. Or, les 17 actuellement en dotation « suffisent à peine », a indiqué l’amiral Christophe Prazuck, son chef d’état-major, au député Bridey. Assurément, « la marine gagnerait en robustesse à en avoir davantage », a-t-il dit, avant de préciser que cet objectif ne fait pas partie de ses travaux actuels.

Pour le moment, la Marine compte veut surtout que la modernisation de ses avions de patrouille maritime Atlantique 2, le renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaques (SNA) et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) ainsi que les programme des frégates multimissions (FREMM) soient assurés. En outre, elle souhaiterait également engager des travaux sur le successeur du porte-avions Charles de Gaulle.

Parmi les priorités données par l’état-major de la Marine, le renforcement de la « flotte de souveraineté » est urgent, d’autant plus qu’il y a un risque de rupture temporaire de capacité avéré si le programme BATSIMAR, qui prévoit le renouvellement des patrouilleurs, n’est pas lancé rapidement.

Autre domaine important : le remplacement des hélicoptères de la Marine, laquelle met encore en oeuvre des Alouette III datant des années 1960. Le dossier est compliqué car le projet d’hélicoptère interarmées léger (HIL), destiné à renouveler plusieurs types de machines, est au point mort, faute d’accord entre les états-majors sur les spécifications de cet appareil. Pour l’amiral Prazuck, il faudrait donc une solution de transition, « le temps que les vues des armées convergent ». Elle pourrait passer par l’acquisition d’hélicoptères « d’occasion et pas chers », de la même famille que les Dauphin et les Panther.

S’agissant des aviateurs, leur chef d’état-major (CEMAA), le général André Lanata a donné trois axes de réflexion. Le premier concerne la « recapitalisation organique » de l’armée de l’Air, laquelle doit prendre des mesures parfois complexes pour « assurer ses missions avec des moyens limités. » Dans son rapport, le député Bridey explique que la « difficulté principale consiste à produire suffisamment d’heures de vol pour soutenir l’exportation, assurer les OPEX et garantir l’activité dite « organique », c’est-à-dire celle qui permet à l’ensemble des professionnels de maintenir leurs compétences opérationnelles. »

En réalité, cette « recapitalisation organique » demandra des moyens financiers relativement importants. En premier lieu, il s’agit d’assurer le renouvellement des avions de ravitaillement en vol ainsi que les moyens ISR, pour lequels, a souligné le général Lanata, « nous dépendons des Américains ». Elle suppose aussi une adaptation du contrat opérationnel avec la réalité des engagements. En clair, il faudra plus d’avions de combat, voire de transport.

En outre, le CEMAA a aussi insité sur le renouvellement de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, dont les modalités devront être arrêtées vers 2020. Il s’agira de prendre une décision sur le missile de croisière – l’ASN4G – qui succédera à l’ASMP-A ainsi que sur « l’avion » qui l’emportera. « Le choix de la dissuasion, ce n’est pas seulement un choix d’armement : c’est un choix politique avant tout ; les moyens nécessaires à sa crédibilité s’en déduisent », a-t-il fait valoir.

Plus globalement, la modernisation de la force de frappe française, estime le Délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon, devrait annuellement coûter près de 6 milliards pendant « plusieurs années ». Ce qui consommera donc une partie des « 2% du PIB ». Qui plus est, il faudra aussi prendre en compte « l’effet d’inertie des programmes d’armement en cours », a-t-il encore souligné.

Par ailleurs, la DGA souhaiterait porter de 730 millions à 1 milliard d’euros par an les crédits alloués aux études amont. Elle « saurait les dépenser », assure M. Collet-Billon. Parmi les axes de recherche prioritaires, ce dernier a cité la furtivité des avions, les moyens de détection et de guerre électronique, la radars des avions de mission, l’acoustique sous-marine et les matériaux innovants pour les blindages.

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