Et si la France s’inspirait du Royaume-Uni pour financer ses opérations extérieures?

barkhane-20160615

Cette année, et comme les précédentes depuis 2012, le montant de la somme inscrite au titre du financement des surcoûts liés aux opérations extérieures dans le projet de budget 2017 de la mission « Défense » est de 450 millions d’euros seulement. Et cela alors que l’on sait que cette provision est largement insuffisante pour couvrir les 1,2 milliard de dépenses générées annuellement (et en moyenne) par les interventions militaires françaises.

Pour le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, cette sous-évaluation des surcoûts « OPEX », figée par la Loi de programmation militaire, n’est pas un problème. Au contraire même, elle permet de faire appel plus largement à la solidarité interministérielle en fin d’exercice, même si son ministère y contribue à hauteur d’environ 20%.

Cependant, comme le note la Cour des comptes dans le rapport sur « les opérations extérieures de la France » qu’elle vient de publier, le « financement interministériel massif en gestion, par décret d’avance, des surcoûts non provisionnés lors de la programmation, évite d’avoir à formuler de façon transparente, au moment de la construction de la loi de finances initiale, la réalité des contraintes financières liées à la conduite des OPEX. » Et de plaider, encore une fois, pour une évalution « sincère » de ces surcoûts lors de l’élaboration des lois de finances initiales (LFI).

Le sénateur Dominique de Legge, qui vient aussi de rendre un rapport sur le même sujet, ne dit pas autre chose. « La fixation d’une provision plus juste dès la loi de finances initiale permettrait d’améliorer la visibilité des gestionnaires, du ministère de la défense, comme des autres ministères contributeurs », écrit-il.

Cela étant, la Cour des comptes souligne dans le même temps que les « surcoûts OPEX ne reflètent pas ce que coûte à la nation la mise à disposition d’un outil militaire (hommes, matériels, soutien) prêt pour un emploi en OPEX » et que la « prise en compte des seuls surcoûts directement liés à l’emploi des forces en OPEX écarte, par construction, la part des coûts de personnel, des coûts de structure du ministère, des coûts de possession de matériel qui est imputable aux opérations, quand bien même certains de ces coûts n’existent que du fait des opérations. »

En clair, la note en fin d’exercice pourrait être nettement plus salée étant donné que certains paramètres ne sont pas pris en compte dans le calcul des surcoûts OPEX. Ainsi, les magistrats de la rue Cambon citent les coûts liés à l’usure prématurée, à la perte, à la destruction ou à la cession de matériels ainsi que ceux, à long terme, relatifs aux ressources humaines (attribution de la carte du combattants aux militaires « projetés », retraites, pensions d’invalidité, etc…). Sans oublier les dépenses liées aux soins apportés aux blessés.

Dans son rapport, le sénateur de Legge ne peut faire que le même constat. « Il est en revanche plus préoccupant que l’usure accélérée du capital de nos armées résultant de la forte activité opérationnelle liée aux OPEX ne soit pas compensé au ministère de la défense », estime-t-il.

En outre, indique la Cour des compte, « le haut niveau d’engagement actuel conduit à limiter la préparation opérationnelle des forces, notamment « en mobilisant des équipements et des ressources humaines qui ne sont plus disponibles pour la préparation. Le niveau de préparation tend donc à diminuer, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. » Et là, c’est l’avenir des capacités militaires françaises qui est en jeu.

Alors, comment financer ces surcoûts OPEX? Déjà, les magistrats de la rue Cambon estiment « utile de procéder à une revue des dépenses devant être considérées comme supplémentaires et imputables à l’emploi des forces en OPEX, ainsi que des méthodes de calcul afférentes ». Et d’ajouter : « En considérant les dépenses les plus significatives, il s’agit d’éviter une complexité et une précision
excessives et vaines, tout en parvenant à évaluer au plus juste ce que coûte l’emploi des forces en OPEX, c’est-à-dire l’exercice d’une des trois grandes missions des armées. La fiabilité et la stabilité de la méthode devraient être recherchées prioritairement. »

Dans son rapport, la Cour des comptes suggère implicitement qu’il faudrait s’inspirer du modèle britannique, c’est dire « sortir » les dépenses liées aux opérations extérieures du budget alloué à la mission « Défense ».

« L’objectif d’une budgétisation plus sincère des surcoûts OPEX peut être atteint selon différentes modalités. Le dispositif actuel, dans lequel une dotation est prévue au sein du programme 178 – Préparation et emploi des forces pour couvrir les surcoûts OPEX, pourrait être poursuivi. Il s’agirait dans ce cas de fixer, chaque année, cette dotation au niveau de la meilleure estimation des surcoûts disponible. Ce même montant pourrait alternativement abonder une réserve spécifique placée en dehors de la mission Défense, à l’image de ce qui est pratiqué en Grande-Bretagne », peut-on en effet lire dans le document.

Le sénateur Dominique de Legge va plus loin dans son rapport : il recommande en effet d' »envisager, sur le modèle du Royaume-Uni, la création d’une réserve spécifique consacrée au financement des OPEX. »

Et d’expliquer : « De manière plus ‘innovante’, il pourrait être envisagé de s’inspirer du modèle britannique qui prévoit le financement du ‘surcoût OPEX’ via une réserve spéciale gérée par le Trésor dont le montant, fixé à partir d’une estimation réalisée par le ministère de la défense, est voté lors de l’adoption du budget général. »

Outre-Manche, depuis 2002, les surcoûts OPEX sont en effet financés par une Réserve spéciale du Trésor, dont le montant est adopté lors de la discussion, au Parlement, du budget général, sur la base d’une estimation du ministère de la Défense (Main Estimate).

« Ces coûts représentent les ‘dépenses additionnelles nettes’ (directes et indirectes) engagées par le ministère de la défense dans ses opérations, en sus de celles que le ministère aurait supportées si l’opération n’avait pas eu lieu (par exemple, les dépenses de salaires ou encore les économies générées par les annulations d’exercices ou d’entraînement sont déduites du coût total de l’opération) », explique le sénateur dans son rapport.

En juillet 2015, lors des débats portant sur l’actualisation de la LPM en cours, M. de Legge avait déposé un amendement visant à exclure le ministère de la Défense du financement interministériel des surcoûts liés aux opérations extérieures non budgétés par la loi de finances initiale. « Le fait même que le contexte international et la dégradation sécuritaire imposent des interventions militaires sur des théâtres extérieurs contribue à dégrader les ressources que la France consacre à sa défense », avait-il plaidé, en estimant « utile d’engager une réflexion sur l’opportunité d’inclure dans le calcul du surcoût OPEX l’usure accélérée des équipements et leur remise à niveau. »

Mais cet amendement ne fut pas adopté en commission mixte paritaire. Peut-être qu’adopter le modèle britannique en matière de financement des surcoûts « OPEX » serait plus acceptable aux yeux du législateur… En tout cas, le sujet mériterait d’être abordé quand il faudra élaborer la prochaine Loi de programmation militaire.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]